Fichiers musicaux : la jungle !
C'est le pire cauchemar des amateurs de musique. La Fnac ne vendrait que des disques lisibles sur une chaîne Samsung. Quelques rues plus loin, un autre disquaire fourniraient les possesseurs d'autoradios Blaupunkt, et seulement eux.
Cette situation absurde, impensable grâce au CD, standard lisible sur tous les appareils et vendu dans tous les magasins, est pourtant celle aujourd'hui de la vente de musique en ligne. Vanté par les campagnes de publicité triomphales de l'iTunes Music Store d'Apple ou de Connect-Europe de Sony, ce commerce émergent est déjà plombé par une guerre des standards incompréhensible pour le consommateur. Un comble alors que la filière du disque compte sur le téléchargement payant pour détourner les internautes des services gratuits d'échanges de fichiers comme Kazaa ou eMule.
Tous les distributeurs de fichiers musicaux poussent chacun son propre format au nom ésotérique.
L'iTunes Music Store d'Apple ? La musique y est vendue au format AAC/Fairplay (Advanced Audio Coding).
VirginMega et la Fnac ? Toutes les chansons y sont fournies avec le format de Microsoft WMA (Windows Media Audio).
Et, dernier arrivé sur le secteur, Sony a propulsé un service Connect-Europe équipé de l'Atrac 3 Plus.
Une guerre des sigles dont les premières victimes sont les consommateurs : seuls les technophiles les plus motivés peuvent s'y retrouver. D'autant que ces formats différents sont souvent réservés à certains baladeurs numériques : seul l'iPod d'Apple peut lire les chansons téléchargées sur le Music Store, par exemple.
«Western»
Ce foutoir commence à inquiéter les distributeurs classiques de disques et les labels. «La mise en place d'une offre légale de téléchargement est la meilleure réponse à la piraterie et ce marché est déjà saucissonné à travers des standards différents qui vont compliquer la vie du consommateur», s'agace Jean-Noël Reinhardt, le patron de VirginMega.fr. Pour François Momboisse, responsable du site de téléchargement de la Fnac, «si l'on veut que la musique numérique légale se développe, il faut qu'elle soit simple d'accès. Il ne faut pas se poser de questions métaphysiques pour savoir si je peux l'écouter sur mon baladeur et être obligé de regarder la marque de l'appareil.»
Ce «western», selon l'expression d'un distributeur, est en train de tourner au pugilat judiciaire, car tous ces formats sont protégés par des brevets. VirginMega a ainsi saisi fin juin le Conseil de la concurrence pour forcer Apple à lui donner accès à son propre standard. «On a mis en demeure Apple de nous licencier sa technologie afin de permettre aux clients de VirginMega de transférer leur musique sur iPod et notre demande est restée sans réponse», indique Jean-Noël Reinhardt. La Fnac, dont le nouveau site est prévu pour septembre, s'apprête à passer outre l'autorisation d'Apple et proposera à ses clients un logiciel capable de transférer la musique vendue sur le site de l'enseigne vers les iPod. Quitte à risquer un procès.
Gloutons
A qui la faute ? Aux acteurs de l'informatique, tout d'abord, nouveaux entrants qui tentent d'imposer leurs technologies de bout en bout. Le patron d'Apple, Steve Jobs, n'a jamais caché que la vente de musique était pour lui un moyen de vendre plus de baladeurs. La société de Cupertino s'occupe de tout : son magasin en ligne (Music Store), le logiciel de lecture sur ordinateur (iTunes) et le baladeur numérique (iPod). Et pas question de céder un pouce de terrain. «Apple s'est battu contre Microsoft en disant que c'était le grand méchant loup et, le jour où il se retrouve en position dominante, il se comporte de manière encore plus brutale», commente un distributeur français. Un modèle copié par Sony qui compte sur son Connect-Europe pour écouler son Network Walkman. Quant à Microsoft, s'il se contente pour l'instant de vendre son format WMA, des rumeurs persistantes lui attribuent l'envie d'ouvrir un site de téléchargement et de mettre sur le marché son baladeur. Ce qui inquiète toute la filière musicale.
Les maisons de disques, notamment les majors, ont aussi leur responsabilité dans cette balkanisation. Car un standard pour la musique en ligne existe : c'est le MP3, lisible par tous les ordinateurs et quasiment tous les baladeurs numériques. Les maisons de disques n'en ont pas voulu car il avait à leurs yeux le défaut d'être copiable sans limite. Elles ont donc privilégié les formats verrouillés et protégés contre le clonage proposés par Apple, Microsoft ou Sony. Au risque de handicaper le jeune marché payant, selon Rodolphe Buet, directeur des produits disques de la Fnac : «On doit créer un nouveau marché et on met des barrières à l'entrée qui rendent plus difficile d'acheter de la musique légale que d'aller sur Kazaa et eMule.»
Formats : comment s'y retrouver
MP3, AAC et les autres
Les fichiers musicaux qui circulent via l'Internet utilisent des formats de compression. Le MP3 est le plus répandu, mais. Apple utilise l'AAC de Dolby, Microsoft (Windows Media Audio) et Sony (Atrac 3) des technologies maison.
Anticopie
Par peur de la piraterie, les maisons de disques ont encouragé l'apparition de formats protégés grâce à des technologies baptisées «Digital Rights Management» (DRM, gestion des droits numériques). La musique vendue par Apple est verrouillée par le système Fairplay, Microsoft et Sony offrent des systèmes comparables. L'usage par les consommateurs des chansons vendues sous cette forme est limité : seuls des logiciels de lecture audio et des baladeurs agréés peuvent les reproduire, et le nombre de gravages autorisés sur CD est limité.
Déverrouiller
Que faire quand on a ne peut transférer sur son iPod une chanson achetée sur le site de la Fnac ? Il existe une astuce, valable pour quasi tous les services de téléchargement payant : il suffit de graver la musique sur un CD, où elle se retrouve débarrassée de son verrou. Puis de transférer dans l'autre sens vers un ordinateur, dans un format ouvert comme le MP3. Chuuut, c'est pas bien.
Florent Latrive : Libération du 13 juillet 2004
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