21.5.04

Dans le monde de demain...

L'évolution de l'Asie, rapide et bouillonnante, ne parvient qu'en écho assourdi sur les rives de l'Europe. Tout bouge et change à une vitesse inouïe et l'on semble ne pas y prêter attention. Des peuples, de plus en plus nombreux, veulent se développer. L'Inde, puis la Chine ont donné le coup d'envoi. Cette dernière est à l'affût de tout ce qui se fait de mieux dans les différents pays du monde. Elle rapporte, confronte, apprend, améliore, transforme, produit. Pendant ce temps, les Européens en général et les Français, en particulier, semblent se bercer d'illusions en croyant que des réglementations suffiront à contenir les effets du réveil des peuples pauvres. Pour les uns, il s'agit de conserver le bien-être acquis. Pour les autres, c'est le combat pour la vie : chasser définitivement de leur horizon la menace de la famine.

L'arrivée de la Chine, avec un milliard quatre cents millions d'habitants, sur le marché des matières premières, laisse présager ce qu'il en sera demain si toute l'humanité y accède. Nous, les pays dits développés, bien que ne représentant que 20 % de la population mondiale, nous consommons 80 % des richesses ! Nous sommes brutalement ramenés à cette réalité : les matières premières de la planète sont limitées. Déjà, il devient difficile de s'approvisionner en acier, tandis que le manque d'eau s'aggrave. Tout le monde sait bien que si tous les peuples de la Terre consommaient autant que nous, ces ressources s'épuiseraient, ce qui aurait pour effet d'engager de manière extraordinairement difficile l'avenir des générations futures. Nous sommes à un croisement historique : conserverons-nous notre situation privilégiée au risque d'exacerber les rivalités et les rapports de force entre les continents ou chercherons-nous à promouvoir un développement équitable et équilibré pour le présent et l'avenir de tous les peuples ?

...agir en Européen

Cette tâche est essentielle et l'Europe peut y contribuer de manière constructive et efficace. À condition toutefois de s'en préoccuper maintenant. En effet, les pays dits développés, aux populations vieillissantes, seront en situation de plus en plus défavorable face aux pays à forte croissance démographique. D'autre part, il est frappant d'observer que les pays qui se « développent » le plus vite ont des régimes autoritaires voire dictatoriaux. Leur puissance internationale va donc s'accroître et si les démocraties ne se mobilisent pas, elles pèseront de moins en moins. Avec elles, c'est la place de l'homme dans la société qui sera en recul au profit des conceptions totalitaires pour lesquelles l'homme n'a de raison d'être que s'il est soumis au système. C'est pourquoi, ces années, ces heures mêmes que nous vivons sont si précieuses. Il ne faut pas les perdre en querelles vaines, ni les gaspiller en rivalités stériles. Il faut se rassembler au contraire, échanger, réfléchir, agir de conserve. Il faut entrer sans attendre, et en Européen, dans le nouveau jeu du monde afin que l'Europe se pose en leader du développement des peuples. L'Américain Henry Kissinger disait, non sans humour : « L'Europe, quel numéro de téléphone ? » Cela reste désastreusement vrai aujourd'hui où l'on voit nos pays nains essayer de dialoguer à égalité avec les plus grands pays du monde.

Chaque pays d'Europe, seul, est condamné à l'impuissance. Ensemble, nous avons une chance inouïe de peser davantage sur le cours des événements. Saurons-nous la saisir alors même que ce que nous avons réussi à construire en Europe brille comme un espoir pour beaucoup, écrasés sous le joug de la misère et de l'esclavage ? C'est ce dont témoignent ces propos d'un cinéaste chinois : « Il faudrait que l'Europe n'apporte pas seulement son argent et son développement, mais sa conception de l'homme. »

Jeanne Emmanuelle Hutin : Éditorial de Ouest France du 21 mai 2004
Sentinelle : Économie : Mondialisation