30.6.04

Les cocas de terroir

Breton, alsacien, corse : les colas pavoisés aux couleurs de leur région se lancent à l’assaut de l’empire Coca-Cola. Revue de détail et test de ces ersatz.

C’était le chaînon manquant. La petite touche indispensable venant parachever la carte foisonnante des délices régionaux de notre doulce France, terre bénie des crêpes bretonnes, choucroutes alsaciennes et autres fondues savoyardes. Amis gastronomes et géographes, réjouissez-vous! Car voici venu le temps du Coca-Cola 100% estampillé terroir de France ! Le dernier en date à avoir débarqué s’appelle Elsass Cola. Alsacien jusqu’au bout des bulles : «On utilise comme base une eau gazeuse qui vient des sources de Soultzmatt, clame fièrement Jacques Sérillon, le producteur. Et les étiquettes sont imprimées à Colmar.» Le logo ? Une gironde Alsacienne tout en tresses blondes, rondeurs et coiffe. Incarnant, on imagine, «unser original Cola». Et ça marche ! «C’est du délire. Les magasins sont en rupture de stock. On pensait faire 500.000 bouteilles la première année. Mais maintenant, vu l’accueil, on devrait vendre entre 1 et 2 millions de bouteilles...»

Au cœur du Morbihan, à deux pas des touffus taillis de la forêt de Brocéliande, les brasseries Lancelot débitent des palettes de Breizh Cola à la chaîne. Pionnier des colas régionaux, le Breizh Cola, lancé en 2002, est désormais disponible dans tous les supermarchés et devrait également atteindre les 2 millions de bouteilles cette année. A tel point que «le Cola du Phare Ouest» – véridique ! – commence même à inquiéter Pepsi ! Comme les grands du marketing, il décline sa marque en diversifiant son portefeuille produit, comme on dit dans le milieu. Pour séduire le cœur des ménagères régionalement patriotes mais soucieuses de leur ligne, le Breizh Cola va ainsi se décliner en light, enfin, pardon, en «hep sukr» en breton. Le succès ? Stéphane Kerdodet, l’un des cofondateurs de la brasserie Lancelot, est grand prince : «C’était prévisible : en Bretagne comme en Alsace, l’identité régionale est très forte. Mais nous n’avons pas l’intention d’aller nous lancer là-bas.» Car la France des colas est un peu comme la France au temps de Philippe le Bel. Pas question d’aller chasser en Anjou sur les terres du voisin! L’Alsace à l’Elsass Cola et la Bretagne au Breizh! Le Royal Cola, cola vosgien, qui caressait – l’inconscient ! – des ambitions nationales, l’a appris à ses dépens : «On a essayé de percer en Bretagne, mais tout était verrouillé par Breizh !», se plaint Philippe Bailly, son patron.

Car, dans l’aristocratie du cola, Breizh Cola n’est pas le premier baronnet venu. Tel un suzerain, le pionnier a un réseau de vassaux dans toute la France, auxquels il a prodigué conseils, assistance et surtout livré le secret des Templiers : la précieuse recette du Coca, subtil mélange de cola, caramel et caféine. Dans la sphère d’influence Breizh, voilà donc Corsica Cola, lancé l’été dernier, qui a fait un tabac grâce à la canicule. Ou encore, au nord, le Chtilà Cola, délicieusement désuet avec sa bouteille en verre et son système d’ouverture à bouchon mécanique très début de siècle. La lecture des étiquettes ayant toujours été un intense moment pédagogique, les parents pourront ainsi apprendre, grâce au Chtilà, à leurs bambins que «eun’-moussolle» veut dire belette en picard. «La langue picarde s’était totalement perdue, mais il y a désormais un regain d’intérêt. Le Chtilà permet de mieux faire connaître la région», s’enthousiasme Jean-Louis Deforges, natif du Pas-de-Calais, promoteur du Chtilà. Après le Nord, le Pays basque ? Les parrains du Morbihan ont en tout cas déjà été sollicités par les inventeurs de... l’Euskadi Cola.

«A terme, il y aura un cola par région», dit Monsieur Elsass Cola. Sauf peut-être à Paris. Où devraient venir s’affronter Bretons, Alsaciens, Corses, Basques... «Avec la mode altermondialiste, il y a une place pour tous les concurrents du Coca, qui symbolise l’impérialisme américain aux yeux du public. Mais notre démarche n’est pas politique. On n’est pas antiaméricain», tient à préciser Stéphane Kerdodet. Bref, même si Breizh reverse une partie de ses bénéfices à des associations bretonnantes, n’allez donc pas le mettre dans le même panier que le désormais célèbre Mecca Cola, coca anti-Bush et propalestinien. Coca ou la marque que vous aimerez haïr ? 463 noms de colas alternatifs ont en tout cas déjà été déposés. Berbère Cola, Catalan Cola, Yalla Colla, Homo Cola et même... Al-Aqsa Cola. Enjoy.

Le grand test de la rédaction

Méthode
Quatre sujets, en parfaite condition physique (taux de cholestérol, diabète, vaccin contre l’hépatite A...), membres de la rédaction du «Nouvel Observateur» et buveurs de Coca à des degrés divers (du toxico repenti à l’usager sporadique...), ont accepté de se prêter à cette expérience. Histoire de ne pas laisser cours à des sympathies régionales, la dégustation a été conduite à l’aveugle. Pour établir une note globale, le jury s’est appuyé sur plusieurs critères (robe, odeur, pétillance, goût). Une fois la dégustation achevée, nous avons demandé à nos goûteurs de se prononcer sur le design de la bouteille et de choisir un VIP capable d’incarner l’image du produit. Voici les notes et les recommandations de nos experts.

1) Breizh Cola original
Note globale 5/10
Une pétillance un peu faible, un arrière-goût chimique de bonbon, trop de sucre. Le Breizh Cola a laissé sceptique, les plus indulgents lui reconnaissant juste un «parfum régressif». Packaging: moderne, efficace, mais peut-être pas assez terroir. Le jury a regretté l’absence du drapeau breton.
Qui pourrait incarner la marque ? Miossec, Michel-Edouard Leclerc.

2) Breizh Cola «hep sukr»
Note globale 9/10
Plébiscite pour le Breizh light ! Mousse, bulles, goût... Nos testeurs ont presque tous cru qu’il s’agissait du Coca original. «Un coca repère dans un monde incompréhensible», «un must des glacières»...

3) Elsass Cola
Note globale 3/10
«Degré zéro de la pétillance», «invertébré, sans âme et sans mémoire». Pourquoi tant de papilles heurtées par l’Elsass ?
Packaging : «Ça ressemble à de l’huile Isio 4 !» Le format bouteille plastique 33cl n’a pas fait l’unanimité. Ni la pin-up alsacienne blonde qui, au mieux, semble relever de la bonne blague Carambar.
Qui pourrait incarner la marque ? Adrien Zeller, Loana, Catherine Trautmann...

4) Corsica Cola
Note globale 7/10
Consensus mou autour du Corsica. Qui, avec son arrière-goût vanillé, flatte le palais sans le heurter. Doux, sensible, mais sans aspérités... Bref, un «coca métrosexuel».
Packaging : la tête de Maure, impérieuse et romanesque, a séduit le jury, soudain emporté dans une verve toute lamartinienne.
Qui pourrait incarner la marque ? Christian Clavier en Napoléon. Voire Pascal Olmeta, sorti vainqueur de la Ferme Célébrités.

5) Chtilà Cola
Note globale 6/10
Le jury a apprécié les bulles et la robe sombre du liquide. L’arôme ajouté (réglisse, caramel, cerise ?) a en revanche divisé les palais.
Packaging : le jury a plébiscité le côté rétro de la bouteille en verre avec son bouchon mécanique. Un côté nostalgique et espiègle qui rappelle les cours de récré, les jeudis chômés des écoliers et les tableaux à craie.
Qui pourrait incarner la marque ? Pierre Bachelet, Dany Boon, Beyoncé.

Et le vrai Coca ?
Note globale 5/10
Mis à part une tentative de triche, aucun de nos testeurs n’a su reconnaître le vrai Coca. «Peu de personnalité», «on ne sent pas les étoiles du drapeau américain». Pfft...

Doan Bui : Le Nouvel Observateur du 24 juin 2004
Sentinelle : Société : Sociologie & Modes de vie