21.7.04

Chez l'abeille, le mâle...

Les bêtes de sexe sous le microscope
 
«Cher docteur, je suis une reine d'abeilles et me sens très inquiète. Tous mes amants abandonnent à l'intérieur de mon corps leurs parties génitales, puis décèdent immédiatement. Cela est-il normal ?»
 
Pour vos amants, c'est la manière normale de quitter le monde : non dans l'agonie, mais par une sorte d'explosion. Le mâle de l'abeille, au moment de l'orgasme, éclate brusquement ; ses parties génitales se détachent avec un violent craquement. Je comprends bien que vous vous en trouviez démoralisée.

A quoi est dû ce phénomène ?

 
Hélas, Majesté, cette explosion n'a rien de fortuit. Laisser leurs parties dans votre orifice génital, c'est l'obstruer. Chacun de ces mâles espère ainsi empêcher votre accouplement avec un autre. En d'autres termes, ce membre mutilé est l'équivalent d'une ceinture de chasteté.

Sans doute estimez-vous que ce n'est pas ainsi que l'on devrait traiter une reine. Cependant, même les reines ne sauraient échapper à la guerre des sexes. Pour bien voir comment se nouent ces conflits, considérons-les d'abord du point de vue des mâles. Ceux-ci se trouvent dans une situation critique. Une jeune reine telle que vous n'a besoin que de quelques jours d'accouplement pour s'en aller construire un nid, après quoi vous n'aurez plus à vous soucier de relations sexuelles, trop occupée par votre demi-million de rejetons. Qui plus est, les chances que le même mâle puisse s'accoupler de nouveau avec vous sont infimes. Car c'est en l'air, passez-moi la boutade, que les abeilles s'envoient en l'air : Majesté, vous aurez pris votre envol pour vous accoupler au premier mâle qui aura pu vous atteindre.

La compétition peut s'avérer féroce, il arrive que l'on observe jusqu'à vingt-cinq mille abeilles mâles rassemblées pour se disputer une reine. Mais vous, personnellement, ne connaîtrez pas plus de dix-sept accouplements, ce qui implique que la plupart des abeilles mâles n'en connaissent jamais aucun. Le mâle qui sera parvenu à vous posséder n'aura donc pas tant perdu dans ce déchirement fatal : il n'aurait guère eu d'autres chances de s'accoupler. On peut même considérer qu'il y aura gagné : vous ayant rendue sexuellement indisponible, il empêche tout autre mâle de s'emparer de vous et de la sorte de féconder une plus grande proportion de vos oeufs – transmettant ainsi davantage de ses propres gènes.

 
Dr Tatiana  : Le Figaro du 20 juillet 2004