22.7.04

Chinastreet

Que cachent les prix cassés de la rue Montgallet ?
 
Des tarifs affichés sur des feuilles scotchées à même les vitrines des magasins, des dizaines de clients qui se pressent dans des boutiques de quelques mètres carrés et des prix cassés sur tout le matériel informatique. Bienvenue à « Chinastreet » ou, pour être précis, dans le quartier Montgallet, situé au coeur du XII e arrondissement de Paris. C'est dans ce secteur ­ qui englobe la rue Montgallet et la rue de Charenton, à deux pas de Surcouf ­, que l'on trouve les prix les plus bas de France pour acheter des équipements high-tech.

Jugez par vous-mêmes : un baladeur MP3 iRiver à 185 euros chez Charlie 12 contre 230 euros chez Surcouf, un disque dur Western Digital de 120 Go à 88 euros chez E Soph au lieu de 149 euros à la Fnac ou encore un graveur de DVD Plextor à 129 euros chez LCDIN contre 169 euros, toujours à la Fnac. Et on pourrait multiplier à l'infini ce type d'exemples.

Pourtant, si les prix cassés font le bonheur des chalands, ils commencent aussi à agacer. Un patron de magasin informatique, situé en dehors du quartier Montgallet, explique : « J'ai arrêté de faire de l'entrée de gamme car je n'arrivais plus à suivre les tarifs pratiqués rue Montgallet. Ils étaient devenus inférieurs à mes prix d'achat ! »

Voila le miracle de ce quartier de plus en plus fréquenté : des prix de vente au détail parfois plus bas que les tarifs des grossistes. Véritable miracle ou grosse supercherie ?

Des astuces plus ou moins légales

 
Une responsable chez un distributeur attitré de grandes marques d'imprimantes a décidé d'alerter la DRCCRF (Direction régionale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes). « Cela me pose un véritable problème car mes clients trouvent des tarifs moins élevés dans ces boutiques que chez moi alors que je vends en gros » , s'emporte-t-elle.

Pour proposer des prix aussi bas, les vendeurs de Chinastreet ont multiplié les astuces. Certaines sont parfaitement légales et leur permettent de baisser les prix des produits d'environ 10 %. D'autres beaucoup moins : « Rue Montgallet, il y a ceux qui ne trafiquent pas du tout et ceux qui trafiquent sur tout » , affirme un commerçant du quartier.

Selon certains connaisseurs du système, la recette pour casser les prix est simple : les boutiques ne paient pas toujours la TVA, ce qui leur permet d'offrir un rabais de 20 % sur le prix de vente. Explication : certains vendeurs iraient s'approvisionner aux Pays-Bas ou en Italie.

Les règles commerciales à l'intérieur de l'Union européenne autorisent en effet les échanges en hors taxe entre deux entreprises. Les marchandises sont rapatriées en France et les magasins font mine de les réexporter, toujours hors taxe, vers d'autres pays européens. De fausses factures émises par des « sociétés écrans » d'import-export permettent de tromper l'administration française. En réalité, les produits sont écoulés à Paris, à un prix défiant toute concurrence !

Ces pratiques auraient pris de l'ampleur depuis le début de l'année 2000, jusqu'à impliquer certains grossistes. Liés par contrat aux marques qu'ils représentent, ils se doivent d'écouler un certain quota de pièces par mois. De quoi inciter à bien des compromissions lorsque les ventes ralentissent. « Pour nous, les affaires sont de plus en plus difficiles, à cause des trafics ! » , confirme le patron d'un des plus anciens magasins du quartier, situé derrière Surcouf. « Je fais régulièrement des rapports aux constructeurs, mais rien ne change... »

On peut se demander pourquoi les fabricants n'ont pas pris le taureau par les cornes. Certains, qui surveillent pourtant les prix réellement pratiqués dans les boutiques, semblent même très bien se satisfaire de la situation. En réalité, ils ne sont pas touchés directement par les détournements de TVA ; dans cette affaire, c'est l'Etat qui est en effet perdant.

De plus, la réputation de la rue est telle qu'ils en profitent aussi pour y écouler sous des marques génériques les stocks de produits de moins bonne qualité qu'ils ne souhaitent pas associer à leur nom. La rue Montgallet leur permet donc de gagner sur les deux tableaux : écouler leurs produits et leurs rebuts. Cela ne les empêche pas d'être attentifs aux prix pratiqués par les assembleurs.

Les constructeurs ferment les yeux

 
Ainsi, un important fabricant de cartes mères a chargé une personne de relever les prix régulièrement. Mais il n'intervient pas quand il note des tarifs curieusement bas... Un constructeur d'écrans TFT avoue, lui, entretenir de bons rapports avec ses revendeurs du XII e arrondissement : « Que certains magasins vendent nos écrans moins cher permet à plus d'acheteurs de découvrir nos produits ! » . Peu importe donc les moyens, pourvu que la rue donne de la visibilité aux constructeurs et qu'elle leur permette d'écouler leurs produits...

Du côté de Surcouf, Pascal Griot, directeur du marketing, préfère croire que la proximité de la rue Montgallet engendre un phénomène de symbiose plutôt que de parasitisme. « Les clients des assembleurs finissent toujours par venir nous voir ! » , affirme-t-il. Voire.

Le magasin constate parfois une diminution de ses ventes sur des produits bien identifiés. « Nous restons attentifs et vérifions les prix au moins une fois par semaine, et nous nous adaptons s'il le faut. Il peut aussi nous arriver de contacter un fabricant pour nous plaindre d'un prix trop bas rue Montgallet et obtenir une adaptation de nos conditions d'achat. »

Mais ce n'est pas le cas de tout le monde : ainsi un revendeur, installé depuis dix-sept ans, a, quant à lui, récemment fermé boutique : « Il ne m'est plus possible de faire mon travail correctement en restant dans les limites de la légalité. Et je ne veux pas aller en prison ! »

 
A notre avis

Plus de contrôle
Tout le monde semble se satisfaire de certaines des astuces des vendeurs de la rue Montgallet. Personne n'est perdant : le consommateur obtient un bon prix, le constructeur écoule ses produits et les boutiques fleurissent. Seul le citoyen pourrait demander que l'Etat contrôle plus strictement les vendeurs de Chinastreet.

A éviter de préférence
Mieux vaut ne pas acheter de produits chers et fragiles comme, les écrans TFT, les processeurs et les cartes mères proposés en version OEM (sans boîte). En cas de problème, le service après-vente sera limité et le client malheureux devra renvoyer son matériel au fabricant par la Poste.

Les bons plans
Acheter pas cher en prenant le risque d'une qualité moyenne reste un bon calcul pour les consommables et certains matériels rapidement démodés, comme les lecteurs et graveurs de CD et de DVD. Avant même la date d'expiration de leur garantie, ils auront été remplacés par des modèles plus récents. 

 
 
Le site Rue-Montgallet : info ou promo ?

Tout commence avec un forum de discussion où des passionnés d'informatique partagent leurs bons plans dénichés chez les assembleurs du XII e  arrondissement de Paris. Fin 2000, le nombre de prix affichés atteint le record de 4 000. Romain Guillard et Olivier Moulin, les fondateurs, commencent à se poser des questions...

Et découvrent que les internautes qui entrent les prix sur le forum ne sont autres que les commerçants ! Ils décident alors de créer un site leur permettant d'afficher leurs tarifs. Rue-montgallet.com est né ; le site attire aujourd'hui 2,4 millions de visiteurs par mois. 
 
Pourtant, il ne faut pas se tromper, Rue-Montgallet est plus un support de promotion pour les boutiques du quartier qu'un comparateur de prix objectif et indépendant. 250 euros hors taxes : c'est la somme payée par chaque boutique pour être référencée et annoncer ses tarifs pendant un mois. Quant aux magasins qui ne paient pas, ils ont ­ théoriquement ­ la possibilité d'entrer leurs prix sur le site et sont alors présentés... en bas de page.

En réalité, toutes les boutiques figurant sur le site passent à la caisse ! A raison de 35 000 prix mis à jour quotidiennement et de 40 boutiques annonceuses sur les 56 que compte le quartier, comment s'assurer que les tarifs annoncés sont les bons ? C'est là que le bât blesse.

Responsable des relations avec les boutiques, Olivier affirme se déplacer tous les jours dans le quartier afin de vérifier les prix. Il ne peut toutefois pas tous les contrôler et certains visiteurs sont souvent mécontents de ne pas voir en magasin les tarifs annoncés. Sans compter les boutiques qui affichent un prix moindre pour se retrouver en tête de liste... 

 
 
Les astuces légales des commerçants de la rue Montgallet...
 
Vendre beaucoupDerrière les multiples enseignes de la rue Montgallet, on retrouve quelques propriétaires seulement, disposant chacun de deux à six magasins. Exemple : les boutiques EDI au 104, avenue Daumesnil et Megarama au 82, boulevard Diderot appartiennent au même gérant, Eric Do. En passant une commande de gros pour plusieurs magasins, les propriétaires obtiennent des remises auprès de leurs grossistes.

Distribuer des produits remis à neuf
Certains magasins vendent des produits « reconditionnés » (essentiellement des graveurs et des disques durs) ; il s'agit d'appareils retournés en SAV suite à un problème, rachetés à de grands fabricants, remis en parfait état de fonctionnement, avec une certification. C'est la spécialité de la marque Nikimi, qui revend ensuite ces produits à bas prix, avec une garantie d'un an. 
 
  
Payer cash
Les fabricants asiatiques, comme certains grossistes français, apprécient d'être payés en espèces, sans délai. En échange de cette faveur qui leur permet d'acheter ou de produire d'autres matériels, ils accordent des remises parfois très importantes.

Vendre au détail des produits OEM
Une carte mère en sachet plastique, un graveur de CD-R sans carton et sans logiciel de gravure ? Vendus moins cher par le fabricant au magasin que leurs homologues en version « boîte » , ces produits sont normalement destinés à l'assemblage (ou OEM, Original équipement manufacturer ). Lorsqu'une boutique les vend à la pièce, elle transgresse les accords commerciaux qui le lient aux fabricants, très souvent complaisants.

Réduire les marges
Les boutiques de Chinastreet se contentent de marges de 3 %. Impossible à tenir pour un magasin classique, pour qui seul un minimum de 5 % est viable.

Commercialiser des produits sans marque
On les appelle les « no name » . Il peut s'agir de surstocks de grande qualité, mais aussi de produits de deuxième catégorie bradés par les grandes marques qui tiennent à leur image. Exemple : des écrans avec plus de 3 pixels morts, des barrettes mémoire avec des puces déclassées, etc. Ces produits sont en général moins chers de 10 à 15 % mais le constructeur, qui tient à rester discret, n'assure qu'un service après-vente très limité.

Importer depuis l'Asie
En se regroupant, les commerçants peuvent acheter en Asie assez de composants pour remplir un container et éviter de passer par un grossiste et donc de lui verser une commission. Pour détecter ces imports, un indice ne trompe pas : l'absence de notice d'utilisation en français.

Gérer en temps réel
Peu de stocks, des livraisons en petites quantités jusqu'à trois fois par jour (et même la nuit !) et beaucoup de ventes, voilà de quoi se mettre à l'abri des fluctuations des prix mais aussi des hausses impromptues du dollar.

Négliger le service après-vente
Il est de coutume de dire que rue Montgallet, la garantie est valable jusqu'à la porte du magasin ! Dans les faits, tout est possible : de 10 jours pour certaines barrettes de mémoire à 3 ans pour des PC portables. La garantie assurée par le magasin est le plus souvent courte et l'acheteur est renvoyé vers le constructeur. Un bon moyen de diminuer les coûts du retour SAV et les frais de personnel.


 
... et les tricheries pour contourner les lois... et les tricheries pour contourner les lois

Frauder sur la TVA
Le principe du « carrousel à la TVA » consiste à acheter dans un autre pays d'Europe des lots de marchandises hors taxe, comme l'autorise la législation. Le commerçant vend alors les produits en France, tout en faisant croire à l'administration qu'il les a réexportés vers d'autres pays d'Europe.

Reconditionner des produits déjà utilisés
Un PC portable dans un emballage qui ne paraît pas d'origine ? Il pourrait bien s'agir d'un produit envoyé en SAV. Réparé ou juste rafistolé, il est présenté comme neuf. Une astuce difficile à déceler : il faut vérifier que le numéro de série n'a pas déjà été enregistré auprès du constructeur.

Vendre des contrefaçons
Les saisies de contrefaçons informatiques à la douane ne cessent d'augmenter. On trouve en priorité des consommables (notamment pour les imprimantes) qui aboutiraient dans les arrières boutiques de certains magasins peu scrupuleux.

Détourner la Sorecop
100 CD-R pour 35 euros, alors que la taxe sur les supports vierges s'élève à 0,356 euro par pièce : malgré les contrôles des douanes, on continue à trouver rue Montgallet des CD-R sur lesquels la taxe n'a pas été acquittée. Achetés dans d'autres pays d'Europe où ces charges sont moins élevées, comme la Belgique, l'Allemagne ou l'Espagne, ils sont proposés à des prix imbattables !

 

Les précautions à prendre

Arriver informé
Voici le petit secret des habitués de la rue Montgallet. Lisez la presse spécialisée, visitez le site Rue-Montgallet pour avoir une idée générale des prix et sachez quelle référence précise vous venez y chercher. N'espérez pas trouver des conseils.

Se méfier de l'OEM
Si vous n'êtes pas un spécialiste, mieux vaut opter pour des composants en version « boîte » . N'hésitez pas alors à ouvrir l'emballage en vérifiant que l'adhésif présente le logo du fabricant, examinez le produit, ses accessoires. Il est parfois possible de tester les matériels dans le magasin.

Ne pas oublier la facture
Elle vous sera utile pour faire valoir la garantie légale pour vice caché, illimitée dans le temps. Sachez que le détail de la garantie contractuelle doit apparaître clairement au dos de votre facture. Par exemple : «  Garantie magasin de 3 mois, puis garantie constructeur pendant un an  ». Pensez à demander les coordonnées du constructeur (pour éventuellement faire jouer la garantie plus tard) et vérifiez aussi que le numéro de série inscrit sur le produit (pas sur le carton) est bien le même que celui qui est reporté sur la facture.

Se renseigner sur l'échange
Nombre de magasins proposent d'échanger les produits dans les sept jours (pas plus !) qui suivent l'achat. Intéressant si vous rencontrez un problème d'incompatibilité.

Acheter tous ses composants dans la même boutique
En cas d'incompatibilité entre deux composants, la solution sera plus facile à trouver.

Assembler votre configuration sur place
C'est souvent gratuit, et cela permet de vérifier le bon fonctionnement de la machine dans le magasin. En plus, vous bénéficierez d'une garantie plus avantageuse...

Garder des traces
En cas de retour au service après-vente, réclamez un document qui indique la durée de l'immobilisation de votre produit, ce qui prolongera d'autant la durée de votre garantie.

Judith Bregman : L'Ordinateur individuel du 21 juillet 2004

3 Comments:

Blogger Ravindra said...

Bonjour ! .Je suis en inde et j'enseigne le français aux écoliers dans l'Etat de Maharashtra. Moi, avec deux collègues, je suis en train de préparer un manuel de la langue française et je trouve une image de Paris plage sur votre blog! Est-ce que je peux utiliser cette image dans ce manuel comme "une image pour la connaissance" ..J'indiquerai la source de cete image donnant le lien pour votre blog... Permettez-moi de le faire ...En attendant votre réponse et avec mes salutations distinguées,ABHYANKAR Ravindra, PUNE INDE (mon adresse electronique : deemdev135@gmail.com

24 mars 2012 à 03:03  
Blogger Ravindra said...

Bonjour ! .Je suis en inde et j'enseigne le français aux écoliers dans l'Etat de Maharashtra. Moi, avec deux collègues, je suis en train de préparer un manuel de la langue française et je trouve une image de Paris plage sur votre blog! Est-ce que je peux utiliser cette image dans ce manuel comme "une image pour la connaissance" ..J'indiquerai la source de cete image donnant le lien pour votre blog... Permettez-moi de le faire ...En attendant votre réponse et avec mes salutations distinguées,ABHYANKAR Ravindra, PUNE INDE (mon adresse electronique : deemdev135@gmail.com

24 mars 2012 03:03

24 mars 2012 à 03:04  
Blogger Ravindra said...

Bonjour ! .Je suis en inde et j'enseigne le français aux écoliers dans l'Etat de Maharashtra. Moi, avec deux collègues, je suis en train de préparer un manuel de la langue française et je trouve une image de Paris plage sur votre blog! Est-ce que je peux utiliser cette image dans ce manuel comme "une image pour la connaissance" ..J'indiquerai la source de cete image donnant le lien pour votre blog... Permettez-moi de le faire ...En attendant votre réponse et avec mes salutations distinguées,ABHYANKAR Ravindra, PUNE INDE (mon adresse electronique : deemdev135@gmail.com

24 mars 2012 à 03:04  

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