25.8.04

Géopolitique & Microsoft

Traductions politiquement incorrectes, cartographies imprécises, thèmes musicaux impropres... Un haut cadre de la multinationale a révélé quelques anecdotes coûteuses sur les faux pas diplomatiques retentissants de Microsoft.

Le manque de culture géopolitique des employés de Microsoft a coûté des millions de dollars à l'éditeur et l’interdiction de ses produits sur certains des marchés les plus importants au monde. Tout cela à cause de quelques pixels d'une couleur mal appropriée, d’une musique politiquement incorrecte ou encore d'approximations de traduction.

C'est ce qu'a expliqué longuement Tom Edwards, qui dirige la division Geopolitical Product Strategy de Microsoft, lors d'une allocution prononcée au congrès de l’Union géographique internationale, cette semaine à Glasgow. Comme l'a rapporté jeudi 19 août le Daily Telegraph, il a révélé comment l'une des plus grandes entreprises du monde a réussi à offenser le deuxième pays le plus peuplé de la planète à cause d’une petite gaffe aux grands effets.

En coloriant les 800.000 pixels d’une carte de l’Inde, Microsoft a appliqué une nuance de vert différente à huit d’entre eux pour représenter le territoire du Cachemire, une région disputée depuis des décennies avec son frère ennemi voisin le Pakistan. Une carte présente dans la partie figurant les fuseaux horaires du système d'exploitation Windows 95.

Or cette distinction de couleur impliquait que le Cachemire ne faisait pas partie de l’Inde, si bien que le produit a rapidement été interdit dans le pays. Le géant américain a dû rappeler l’intégralité de ses 200.000 exemplaires de W95 pour essayer de résorber la crise diplomatique. «Cela nous a coûté des millions», a avoué Edwards.

Inde, Arabie Saoudite, Chine, Turquie... la liste est longue

Autre bévue diplomatique : Microsoft a utilisé des psaumes du Coran comme bande-son d’un jeu pour PC, ce qui a profondément contrarié le gouvernement saoudien. Il a donc sorti une nouvelle version du même titre sans les psaumes, tout en laissant la précédente en circulation ; les employés américains pensaient que cet impair passerait inaperçu. Pas en Arabie Saoudite, qui a interdit le jeu et exigé que lui soient présentées des excuses officielles. Microsoft a finalement obtempéré et retiré définitivement le jeu de la vente. Avant d'offusquer une nouvelle fois les princes saoudiens en créant un autre jeu, dans lequel des guerriers musulmans transformaient des églises en mosquées. Même punition: retrait du marché.

La firme de Redmond est également parvenue à scandaliser la population féminine de plusieurs pays d'Amérique latine. Une version de Windows XP en espagnol, destinée aux marchés d’Amérique latine, proposait aux utilisateurs une option permettant de choisir leur sexe entre trois choix définitifs: «no especificado» (non spécifié), «varon» (homme) or «hembra» (femme). Manque de bol, dans certains pays du continent, «hembra» veut surtout dire «salope». Conséquence malencontreuse, dixit Edwards, d’une erreur de traduction.

Cours de géographie pour les employés de Microsoft

Microsoft a excercé d'autres faux pas diplomatiques avec la Corée, le Kurdistan, l’Uruguay ou la Chine. Par exemple, mentionner sur une carte Taïwan comme un pays étranger est considéré comme un crime politique à Pékin ; cette "erreur" est apparue dans la suite Small Business Server 2000 distribuée en République populaire ; et les cadres de Microsoft China ont d'ailleurs été convoqués par le gouvernement. Même mésaventure en Turquie pour des distributeurs de l'atlas Encarta, qui mentionnait la présence du Kurdistan, terme plus que tabou du côté d'Istanbul ou d'Ankara.

La liste est donc longue. Edwards a terminé son intervention par une franchise à toute épreuve : «L'illétrisme en géographie de bon nombre d'Américains est un fait connu. Mais quand les effet de cet illétrisme sont reproduits dans des produits distribués dans le monde entier, ça peut devenir catastrophique». En guise de punition, a-t-il ajouté, ses employés sont désormais tenus d’assister à des cours de géographie.

Son seul succès, il peut donc en être fier : avoir réussi à empêcher à temps la distribution d'une version d'Office XP avec un symbole astrologique représentant la lune et des étoiles; une icône qui ressemblait de trop près à un symbole de l'Islam.

«La plupart du temps les pays ou les peuples qui se sont sentis offensé», a insisté Tom Edwards, «sont persuadés que nous avons fait ces erreurs délibérément, dans le but de forcer le trait sur un élément politique, mais je peux vous dire que tous ces exemples étaient complètement non prémédités».

Jo Best : Silicon.com du 20 août 2004