23.8.04

JO : Simple affaire de démographie

Les Jeux olympiques n'avaient pas encore commencé que deux économistes affirmaient déjà savoir combien de médailles chaque pays allait remporter.

Mais Andrew Bernard, professeur à la Tuck School of Business de Dartmouth (New Hampshire), et Megan Busse, professeur associé à Berkeley (Californie), affirment être en mesure de prévoir combien de médailles pourront engranger 34 des pays participants, et ce sans rien savoir des performances de leurs athlètes respectifs. Le modèle informatique qu'ils ont élaboré se fonde sur le poids démographique de chaque pays étudié, sur son produit intérieur brut par habitant, sur ses précédents résultats et sur l'avantage du pays hôte.

Plus une nation est peuplée, plus elle a de chances de disposer d'un riche vivier de sportifs talentueux. Plus son PIB est élevé, plus elle a de ressources pour financer la formation des athlètes olympiques.

Enfin, les performances passées permettent de redresser les pronostics en faveur de pays qui, comme la Russie ou Cuba, ont tendance à obtenir de meilleurs résultats que leur économie ou leur poids démographique ne le laisseraient supposer.

En 2000, le modèle de Bernard et Busse a prédit avec exactitude le nombre de médailles remportées par la Corée du Sud et donné des résultats justes, à quatre médailles près, pour les autres pays étudiés. Pour les Jeux d'Athènes, les deux chercheurs ont une bonne et une mauvaise nouvelle pour les grandes puissances sportives que sont les Etats-Unis, l'Allemagne et la Russie.

Commençons par la bonne : les Etats-Unis devraient remporter 93 médailles, la Russie 83, l'Allemagne prenant la quatrième place avec 55 distinctions.

Maintenant, la mauvaise : bien qu'ils continuent à dominer la compétition, ces géants des Jeux olympiques n'ont cessé de voir leur part du gâteau se réduire depuis les années 80, une tendance qui devrait se confirmer à Athènes. Ainsi, à Barcelone, en 1992, les Etats-Unis avaient remporté 13,2% des médailles, proportion qui est tombée à 10,4% à Sydney en 2000, et qui pourrait chuter cette année à 10,1%. En revanche, les outsiders pourraient combler leur retard. Aux derniers Jeux, déjà, le Cameroun remportait en football la première médaille d'or de son histoire, tandis que la Barbade faisait, grâce à l'athlétisme, son entrée dans le palmarès des médaillés. De même, la Jamaïque ne cesse depuis 1988 de voir augmenter le nombre de ses récompenses, tandis que le Brésil a doublé ses performances entre 1988 et 2000.

M. Bernard voit dans ces chiffres le reflet de l'économie mondiale

Selon lui, ces résultats "témoignent de l'amélioration du niveau de vie des pays les plus pauvres et donc de l'amélioration de leurs chances de goûter à la gloire olympique."

Les performances de la Chine illustrent parfaitement cette idée : les résultats olympiques des Chinois ont en effet suivi le boom économique de l'empire du Milieu, passant de 28 médailles en 1988 à 59 en 2000. Les économistes prédisent ainsi que la Chine remportera 57 médailles à Athènes, mais Bernard n'écarte pas la possibilité que les résultats dépassent son propre pronostic. En effet, la Chine va accueillir les Jeux en 2008, perspective qui pourrait booster les performances des athlètes chinois dès cette année. L'amélioration du niveau de vie des pays en développement peut donc expliquer ce nivellement des performances olympiques, mais ce n'est qu'une explication partielle.

Angus Deaton, professeur d'économie à l'université Princeton et spécialiste des pays pauvres, remarque lui aussi que des millions de Chinois et d'Indiens sont sortis de la pauvreté et ont ainsi contribué à réduire le fossé entre le niveau de vie du monde occidental et celui des pays en voie de développement. Mais il rappelle aussi que les inégalités de revenus se sont encore creusées entre les nations africaines les plus pauvres et les pays développés. Mais alors, quelle autre explication donner à ce nouveau paysage olympique ? Les pays en voie de développement connaissent également une forte croissance démographique, qui pourrait expliquer l'amélioration des performances olympiques de certaines nations, dont le vivier de talents potentiels s'est élargi en dépit de la stagnation de l'économie.

Marc Lowry, l'un des responsables du Comité olympique canadien, avance une autre hypothèse pour expliquer ce phénomène d'équilibrage. Il s'appuie sur la théorie de l'avantage comparatif élaborée au XIXe siècle par l'économiste David Ricardo, qui veut que tout le monde gagne à ce que chaque pays se spécialise dans les productions dans lesquelles il est le plus compétent. Selon Lowry, un nombre important de pays se sont ainsi spécialisés dans les disciplines sportives où ils disposent d'un avantage comparatif. C'est le cas du Kenya qui, grâce à un entraînement en haute altitude, excelle dans la course de fond, ou encore de Hong Kong, ville côtière qui a remporté de nombreuses victoires en planche à voile. Le Canada, quant à lui, travaille ardemment l'aviron et le canoë, mais ce sont les sports d'hiver qui constituent son véritable atout. De ce fait, le Canada sera sans nul doute l'un des pays riches les plus décevants aux Jeux d'été d'Athènes. Selon le modèle de Bernard, fondé uniquement sur le poids démographique et la richesse économique, le Canada devrait remporter près de 28 médailles cette année. Mais, en fait, il est plus probable qu'il n'obtienne que 13 récompenses.

Jon E. Hilsenrath : The Wall Street Journal Europe du 19 août 2004