Ma vie de caissière
Huit heures par jour derrière une caisse pour 945 net par mois, le mal de dos et le règne des petits chefs en prime: une collaboratrice de L'Express s'est fait embaucher dans un supermarché et a partagé le quotidien de ces employés, observateurs privilégiés de la société de consommation. Elle raconte.
Cela commence dans un bureau de la direction du personnel. Une jeune femme blonde, aimable mais pas trop, m'annonce le programme. Elle égrène les quatre commandements de la caissière avec la solennité d'une mère supérieure récitant la Bible : «Pas une minute de retard. Pas de bavardage avec vos voisines. Pas plus de 5 € d'erreur de caisse en fin de journée. Et, bien sûr, pas de tenue excentrique sous votre blouse.» Bienvenue dans le monde merveilleux des caissières de supermarché. Car j'ai signé. Un contrat à durée indéterminée. Du jour au lendemain, j'ai été embauchée. Ici, dans ce supermarché de la banlieue ouest de Paris, on ne fait pas la fine bouche devant les CV. A longueur d'année, il y a des postes de caissière à pourvoir. Le métier est miné par un turnover endémique et par sa réputation de terminus social pour lycéens en rade.Plus instructif que la Sorbonne.
Le petit speech de la directrice des ressources humaines m'a mise, d'emblée, dans ma nouvelle peau. «Vous serez la caissière 215», précise-t-elle à toutes fins utiles. Je ne suis plus qu'un numéro. Consciente de l'honneur qui m'est fait, je bredouille un vague «merci». Ai-je manqué de conviction ? En tout cas, c'est à ce moment qu'elle m'assène sa botte secrète, le fameux «SBAM» : «N'oubliez pas. Chaque client y a droit. Sourire. Bonjour. Au revoir. Merci. Ce n'est pas si difficile à retenir.» S'il n'y avait que ça à retenir...
Les premiers jours, je m'accroche à mon tiroir-caisse comme à une bouée de sauvetage. En huit heures, l'équivalent de 10.000 € - en chèques, cartes bancaires ou espèces - va me passer entre les mains. Cette simple idée me tétanise. Ne pas faire d'erreur en rendant la monnaie. Soustraire les avoirs. Enregistrer les Cartes bleues. Vérifier les pièces d'identité à chaque chèque. Connaître par cœur le prix des produits en promotion, sachant que le propre de ceux-ci est de changer chaque jour. En fin de matinée, j'ai déjà la migraine. A ma caisse, forcément, les clients s'agglutinent. Une question me taraude : comment font les autres - aux dernières nouvelles, nous sommes 130.000 caissières de grande surface - véritables stakhanovistes du tapis roulant, virtuoses de l'appoint, d'un calme olympien en toute circonstance, capables de soulever un pack de six bouteilles d'eau minérale comme s'il s'agissait d'un plant de basilic ? Réponse : elles ont appris. Sur le tas. Comme moi. Une seule journée de formation avant d'être lancée dans le grand bain. C'est le tarif. Mon Pygmalion s'appelle Marie-Reine, dix ans dans la carrière et un enthousiasme à toute épreuve. Je l'ai observée sur son tabouret pivotant pendant quelques heures. Le film s'est déroulé en accéléré. Tout allait trop vite pour moi. Mais Marie-Reine m'a adoubée d'une formule définitive : «Panique pas. Toi, tu as eu ton bac...» Marie-Reine, comme la plupart de mes collègues, n'est pas allée jusque-là : «J'ai juste un CAP», avoue-t-elle, un peu complexée. Avant d'ajouter : «On dit bien qu'il ne faut pas être très malin pour faire ce métier. Alors toi, tu vas forcément y arriver.»
C'est vrai qu'on y arrive. Au bout d'une petite semaine, j'ai fini par lever le nez de mes tickets de caisse. La clientèle d'un supermarché offre un échantillon assez complet de la nature humaine. Tout le monde y passe. Ou y passera. En une semaine, 83% des ménages français fréquentent une grande surface et y effectuent 70% de leurs dépenses alimentaires. Les mères de famille y poussent des Caddie chargés comme des semi-remorques ; les gamins achètent des disques ou du Coca ; les mamies, des croquettes pour leur chat. Sur la société comme elle va, on en apprend autant derrière la caisse d'un supermarché que dans le grand amphi de la Sorbonne.
Il y a l'inévitable râleur. Ce n'est pas l'espèce majoritaire, mais elle fait beaucoup de bruit. Pour pas grand-chose. Dans la file d'attente, à l'heure de pointe de préférence, il a toujours un motif d'indignation : «Qu'est-ce qu'il se passe, mademoiselle ? Ça n'avance pas !» Ou encore, à l'intention du client distrait : «Excusez-moi, jeune homme, mais ici c'est une caisse moins de dix articles.» Immanquablement, ce shérif de supermarché se transforme, au moment de régler ses courses, en un monument de mauvaise volonté. Il remplit ses sacs au ralenti et cherche sa monnaie pendant cinq minutes avant de finir par brandir un billet de 50 €. A côté de lui, l'inflexible, le vrai, est une bénédiction pour la caissière. Lui non plus n'est pas là pour plaisanter. Mais il connaît son sujet. Avec lui, les courses, c'est du sérieux. Il a pesé ses fruits au gramme près, empile ses achats avec la précision d'un géomètre - les grosses bouteilles au fond du panier, les œufs en dernier - se cache pour faire son code de Carte bleue et vous évite l'erreur de caisse sur un ton gentiment paternaliste : «Le céleri rémoulade, il n'est pas à 2,95. Regardez dans le catalogue : la barquette est inscrite à 2,50.» A croire qu'il révise quand il rentre chez lui.
Mais, au final, les phénomènes sont plutôt rares. Contrairement aux idées reçues, la foule des clients est d'assez bonne composition. Quand ça bouchonne à ma caisse, il suffit d'un petit mot d'excuse pour que la tension retombe immédiatement. «Ce n'est pas grave, mademoiselle, vous n'y êtes pour rien.» Et ce n'est jamais dit avec mépris. Dans les embouteillages de supermarché, les Français sont finalement moins agressifs qu'au volant. C'est sans doute le miracle du contact humain, même s'il est réduit au strict minimum : l'indispensable SBAM et deux ou trois phrases toutes faites.
La palme du bon client revient sans conteste aux personnes âgées. Elles sont là tôt le matin, certaines patientent même devant les grilles du magasin avant l'ouverture, à 9 heures. Elles ont leurs horaires, leurs habitudes, leurs caissières préférées. Elles viennent chaque jour, même si elles n'ont pas grand-chose à acheter : une baguette, un paquet de gâteaux secs... Elles viennent chaque jour parce qu'elles savent qu'ici elles verront un peu de monde et pourront échanger quelques banalités. Quand elles passent à ma caisse, elles tendent leur porte-monnaie avec une confiance aveugle, comme si j'étais une intime de la famille, et m'invitent à y trouver la somme exacte. Elles sont un peu perdues avec les euros et fâchées avec les additions. Aujourd'hui, Lucienne, 84 ans, a rajouté une bouteille de Coca et un steak haché à sa petite liste de commissions. Elle sourit comme une jeune fille en remplissant son cabas : «A midi, j'ai mon petit-fils qui vient à la maison.» Lucienne est une fidèle parmi les fidèles. Toujours là dès l'ouverture. «Après, il y a trop de monde», minaude-t-elle. En général, vers 9 h 15, elle a bouclé son tour de supermarché. «C'est bien, comme ça, je suis tranquille pour la journée.» Tranquille, oui. Et même un peu seule.
Un article toutes les trois secondes
Le grand jeu, dans un supermarché, c'est la course aux coupons de réduction. Plus qu'un jeu, un véritable sport, avec ses professionnels et ses amateurs. Ils se présentent à ma caisse avec des petits bouts de papier plein les mains : «30 centimes de réduction immédiate sur le liquide vaisselle parfum pomme», «2 boîtes de petits pois extrafins achetées, la troisième offerte»... Ils sont sur le qui-vive. N'achètent leurs produits qu'en fonction des bons à découper. La distinction entre le professionnel et l'amateur se fait à la caisse. Les deux pensent avoir réalisé une bonne affaire. Mais le néophyte se fait souvent berner : «Vous ne m'avez pas enlevé les 10 centimes de réduction sur le détergent ? - Non, monsieur, la promotion est déjà comprise dans le prix.» Il arrive même que cette traque obsessionnelle provoque, de temps à autre, une poussée de fièvre incontrôlable. Ce matin-là, les hurlements d'une cliente se sont mis à couvrir le ronron sucré de la musique d'ambiance. «C'est un scandale ! Tous les tickets de réduction des shampooings colorants ont été arrachés...» La furie, qui n'a pas l'air franchement dans le besoin, arbore sa colère et son bronzage tropézien avec ostentation. Elle est prête à en découdre avec la Terre entière. Soupçonne les employés du magasin d'avoir décollé eux-mêmes les précieux sésames. Exige de voir le directeur. Finit par prendre les autres clients à témoin. Il faudra dix bonnes minutes et une petite ristourne pour éteindre l'incendie.
De la paire de chaussettes aux crèmes hydratantes, en passant par les barquettes de fraises, il n'y a plus un produit qui échappe aux campagnes de promotion. Tout l'art de l'opération consiste à faire croire au client qu'il est roi et qu'il n'a pas son pareil pour dénicher la bonne occase. En réalité, c'est un moyen simple et peu coûteux de le retenir par la manche. En un mot, de le fidéliser. Le père de famille venu pour s'acheter un paquet de rasoirs jetables repart avec un lot de quatre bombes de mousse à raser. Il est tranquille pour toute l'année. Souvent, les accros du bon de réduction se précipitent sur des produits auxquels ils n'auraient même pas pensé. Pour un supermarché, les rabais, c'est tout bénéfice.
Sous leur apparence de paquebot impassible, ces temples de la consommation sont pilotés avec la nervosité d'un hors-bord. Ils créent des besoins sans qu'on s'en aperçoive et parviennent à rendre indispensable le superflu. Il a suffi de deux ou trois jours d'affilée de grand beau temps sur la région parisienne pour que la mobilisation générale soit décrétée un matin dans le magasin. Le mot d'ordre est tombé dès 6 h 30 de la bouche du chef des «conseillers bazar». Aujourd'hui, on lance la «promo ventilo». En deux heures, le supermarché, incrusté au milieu des immeubles HLM, s'est transformé en succursale sous les tropiques. A l'ouverture, des montagnes de ventilateurs s'élevaient en tête de gondole et de grandes pancartes tombaient du plafond : «Prix exceptionnel : 19,99 € seulement !» A 11 h 30, tout était terminé : stocks dévalisés, affiches décrochées et retardataires frustrés comme jamais. «Comment ça, mademoiselle, il n'y a plus de ventilateur ? Ma voisine en a acheté un ce matin. Et cet été, avec la canicule, comment on va faire ?...»
Au bout de deux semaines, j'ai l'impression de tout connaître de la vie d'un supermarché et du métier de caissière. Je savoure les petites joies de la profession. Dans la salle du personnel, sur un grand tableau, mon nom - en fait, mon numéro... - figure régulièrement en tête du classement des caissières les plus rapides. J'exécute toujours les mêmes gestes à une cadence de plus en plus élevée. Un article toutes les trois secondes, c'est la barre mythique qui sépare les championnes du tiroir-caisse du reste de la profession. Les premières fois où j'ai décroché le tableau d'honneur, j'en ai presque éprouvé de la fierté. Puis, très vite, je me suis sentie dans la peau d'une écolière, infantilisée, notée, stigmatisée. Tout, ici, donne matière à un classement. A côté du tableau recensant les caissières les plus rapides, il y en a un autre, qui, lui, établit chaque jour le palmarès de celles qui savent le mieux compter. Un gros chiffre au feutre rouge indique le montant des erreurs de caisse. Moins de 5 €, ça va. Au-delà, c'est la honte. Et quand Suzanne, 52 ans, consulte les résultats de la veille comme si elle venait de passer une composition de calcul, l'humiliation n'est jamais loin. Chaque fois qu'une légère griserie s'empare d'une caissière parce qu'elle prend de l'assurance ou des antidépresseurs, une note, une remarque, une corvée se chargent de la remettre à sa place, tout en bas, au pied de la pyramide de l'entreprise.
Plusieurs fois par jour, il faut se coltiner l'inévitable épisode du «produit qui ne passe pas». On a beau le tourner dans tous les sens, passer et repasser le code-barres devant le scanner, ça n'enregistre pas. Alors, là, la sanction est immédiate : on ne peut pas couper à l'intervention de Martine, la chef de caisse, et à la séance de flagellation qui s'ensuit. «Ici la caisse n° 12. J'ai un problème avec le Blédichef épinards...» Martine fait l'aller et retour en rayon et déboule vers moi, l'air excédé : «Vous le faites à 1,50. Un jour ou l'autre, ça finira bien par rentrer dans votre tête.»
La jungle des petits boulots
Dans le monde ultrahiérarchisé d'un supermarché, la sentence pète-sec, l'attitude vexatoire n'émanent presque jamais des clients. C'est le domaine réservé des petits chefs. La surprise - mauvaise, de préférence - peut surgir au moment où l'on s'y attend le moins. Un matin, j'ai été convoquée avec une demi-heure d'avance sur l'ouverture du magasin. Mais ce n'était pas pour me féliciter de ma rapide acclimatation. Il s'agissait seulement de nettoyer la vingtaine de tapis roulants du supermarché. Une corvée qui échoit aux caissières à tour de rôle, mais dont on ne m'avait encore jamais parlé. Car, ici, les chefs ne discutent pas avec leurs employées. Sinon pour leur aboyer des ordres : «Toi, tu fermes ta caisse. Et tu vas ranger les paniers.» Tout le monde obéit. Personne ne s'indigne. Pas même Francine, 51 ans, la seule caissière syndiquée du supermarché. En un mois, je ne l'ai jamais entendue s'exprimer. «Tant qu'ils me paient pour le nombre d'heures travaillées, je peux bien faire tout ce qu'ils me demandent», résume, quant à elle, Nathalie. Comme la plupart de mes collègues, la jeune mère de famille, qui a connu le chômage et les petits métiers non déclarés avant d'atterrir dans le magasin, n'a aucune envie de se révolter. Une seule chose lui importe, en réalité : régler son loyer à la fin de chaque mois et nourrir sa petite fille de 3 ans. La direction n'a pas à s'inquiéter.
S'il existe un métier où la féminisation des noms n'a jamais provoqué de querelles d'intellectuels, c'est celui de caissière de supermarché. Eh bien ! il va falloir se battre pour le masculiniser, car, aujourd'hui, il arrive de plus en plus souvent que la caissière soit un caissier. Stéphane est de ceux-là. Ils sont 4 dans le magasin, sur un effectif de 27. Lui a 20 ans. Parcours classique de lycéen en Alsace, où vit encore le reste de sa famille. Après avoir raté son bac, il a eu des envies d'aventure : «Je suis parti seul, pour découvrir Paris.» En guise d'aventure, c'est ici qu'il a atterri voilà déjà deux ans : «J'avais envoyé des CV un peu partout. Ils m'ont répondu les premiers, m'ont offert un CDI sans se faire prier. Je ne me voyais pas refuser.» Aujourd'hui, il ne supporte plus grand-chose des affres de la profession. Ce ne sont ni le statut social ni l'image péjorative de la corporation qui le dérangent. Comme la plupart des jeunes de son époque, dans la jungle des petits boulots, il sait qu'il n'y a pas de sot métier. Ce qui le déprime, c'est la répétition des tâches, la dépersonnalisation des êtres et surtout les horaires, chaque jour différents, établis une semaine à l'avance selon le bon vouloir de la direction. On ne peut pas discuter. «Quand je suis de fermeture à 21 heures, j'ai le cerveau en compote et une seule idée en tête : rentrer chez moi pour aller me coucher.» Son quotidien est rythmé par les allers-retours entre le supermarché et sa chambre de 10 mètres carrés dans un foyer de jeunes travailleurs. Chaque semaine, il se dit qu'il va démissionner. Chaque semaine, il finit par renfiler sa blouse. Ses rêves de jeune homme monté à la capitale pour croquer la vie s'étiolent un peu plus tous les mois. Mais la sécurité de l'emploi, ce n'est pas rien.
Derrière sa caisse, elle se sent exister
Les anciennes du tiroir-caisse, elles, ont moins d'états d'âme. Elles ont dix, quinze ou vingt ans de maison. Elles semblent insubmersibles dans cet océan de routine. Se plient à des règlements de plus en plus stricts avec une ardeur d'enfant de chœur. Comme il se doit, elles n'acceptent jamais de membres de leur famille à leur caisse et sacrifient à la fouille des vigiles chaque fois qu'elles quittent le magasin. Il y a longtemps qu'Evelyne, 46 ans, n'a plus mal au dos ni à la tête. Ou alors c'est qu'elle n'en laisse rien paraître. Elle n'est pas là pour se plaindre, n'évoque jamais le spectre de la démission et parle des 355 employés du supermarché comme d'une grande famille. Son truc à elle, c'est le contact avec les gens du quartier. Derrière sa caisse, elle n'est plus la même. Elle se sent exister. Elle connaît tous les habitués par leur prénom. L'arracher à son tabouret, ce serait la pousser vers le précipice. Quand on lui a proposé, l'an dernier, d'être promue hôtesse d'accueil, sa réponse a cinglé : «Pas question, j'aime trop mon métier !»
Au bout de trois semaines, j'ai découvert un autre rituel de la vie de caissière : la visite médicale. Ça tombait bien. J'avais mal partout. Une douleur lancinante, qui remontait des poignets aux omoplates, pour finir dans le bas des reins. La faute, notamment, aux packs de maxi-bouteilles - une dizaine de kilos - qu'il faut soulever à longueur de journée. Le médecin a tenu d'emblée à me rassurer : tout cela était parfaitement normal. «Je ne connais pas une caissière qui ne souffre pas de troubles musculo-squelettiques du dos, de la nuque et des épaules, m'a-t-il expliqué d'un ton badin. Il n'y a pas grand-chose à faire. Je ne peux que vous conseiller de profiter de vos moments de pause pour pratiquer des exercices de relaxation.» Un peu de yoga, quelle belle idée ! Le problème, c'est que les pauses surviennent quand vous avez déjà envie d'aller aux toilettes depuis deux heures ; or elles ne durent que neuf minutes, et il en faut presque cinq pour rejoindre la salle de repos située au sous-sol du magasin, derrière les entrepôts. A défaut de méditation, ça dégourdit les jambes...
Durant tout le mois que j'ai passé dans ce supermarché comme les autres, je n'ai rencontré qu'une fois le directeur de magasin. C'était le jour de ma démission. Il n'a pas eu l'air plus étonné que cela. N'a rien fait pour me retenir. M'a juste demandé d'un air vaguement blasé : «Il y a quelque chose qui s'est mal passé, mademoiselle ?» Non, c'est simplement que je n'avais pas l'impression d'être faite pour ce métier. Il a presque acquiescé : «Je peux comprendre. Bonne chance et au revoir.» Ce samedi, vers 19 heures, en sortant de son bureau, je me suis rendue pour la dernière fois dans les vestiaires du magasin. Je n'ai pas eu le sentiment d'avoir volé mon salaire mensuel de 945 € net (6.200 FF). J'ai raccroché ma blouse dans mon casier. J'ai croisé dans une glace mon sourire un peu figé, ce fameux SBAM qui, durant tout ce temps, m'a collé aux lèvres et dont je mettrai quelques jours à me débarrasser.
Lundi, je ne reviendrai pas au supermarché. Lundi, la vie continuera. Une nouvelle caissière reprendra le n° 215 pour un mois ou pour l'éternité. Elle ne va pas chômer. Ils l'ont dit à la météo. L'été est bien là. La semaine prochaine, c'est la promo sur les glacières et les climatiseurs.
Post-scriptum
On compte 9.583 hyper et supermarchés en France. En moyenne, leur superficie est de 5.800 mètres carrés ; leur chiffre d'affaires annuel, de 57,76 millions d'euros ; les Français y font leurs courses 38 fois par an ; le coût du contenu d'un Caddie s'élève à 30,80 €.
Judith Rablat : L'Express du 2 août 2004
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