28.5.04

Combattre la faim dans le monde...

... virtuellement

On appelle ça une collusion d'intérêts. D'un côté, les Nations unies souhaitent sensibiliser les jeunes Américains aux réalités de la faim dans le monde et cherchent un puissant vecteur pour communiquer. De l'autre, l'industrie des jeux vidéo, accusée de promouvoir la violence, est prête à tout pour redorer son blason.

Il y a quelques mois, Ken Kutsch, un fonctionnaire du Programme alimentaire mondial, a l'idée de rapprocher ces deux mondes que tout semble opposer. Il demande à un studio basé à Rome de développer un jeu vidéo sur la lutte contre la famine. Food Force voit bientôt le jour. Mais Ken Kutsch sait qu'il lui faut des alliés pour améliorer cette première version du jeu et le distribuer le plus largement possible aux Etats-Unis. Il décide donc de se rendre, en mars dernier, à la conférence annuelle des développeurs de jeux dans la Silicon Valley pour vendre son produit et trouver des sponsors.

Cet ancien producteur de musique reconverti dans l'humanitaire part confiant : en 2003, les éditeurs de jeux vidéo américains ont dépensé quelque 960.000 dollars (790.000 euros)pour faire du lobbying auprès du Congrès et contrer le projet de loi, baptisé "Protect Children from Video Game Sex and Violence Act", qui prévoit de condamner à une amende quiconque vend ou loue à des mineurs des jeux vidéo considérés comme dangereux. Le jeu, développé par le PAM et destiné à être distribué gratuitement, est pour eux l'occasion de se refaire une réputation.

La rencontre avec les éditeurs est, de fait, un succès. Car Food Force offre, en plus d'une caution morale, tous les ingrédients d'un jeu vidéo classique : réflexion, action, rebondissements. Dans le scénario, sécheresse, inondations et guerre civile ont déclenché une crise alimentaire dans une île fictive de l'océan Indien. Pour prévenir une gigantesque famine, le PAM a mis en place une équipe de spécialistes dont font notamment partie Rachel Scott, une logisticienne athlétique, Joe Zaki, un nutritionniste flegmatique, et Carlos Sanchez, un pilote expérimenté. Le joueur incarne une jeune recrue qui gagne des points en menant à bien une série de missions.

Au cours de la première, il pilote un hélicoptère des Nations unies pour identifier des groupes de réfugiés fuyant des zones de combats et de sécheresse. Dans une autre opération, il doit larguer des sacs de nourriture d'un avion-cargo en prenant soin de ne pas écraser la population au sol. Ensuite, après avoir bouclé le budget d'une opération, le joueur doit travailler avec le département des finances pour acheter du riz, de l'huile et des haricots et livrer cette nourriture en évitant les champs de mines et les rebelles armés. Enfin, il doit aider un village à renaître de ses cendres, en élaborant des programmes de développement. "Assurez-vous que, quand le PAM s'en va, le village peut se débrouiller tout seul", conclut Joe Zaki.

Microsoft et la Creative Artists Agency - productrice de Tomb Raider - se sont montrés enthousiastes et ont proposé de participer au projet. Mais ce n'est qu'un premier pas : Ken Kutsch veut convaincre des géants de l'agroalimentaire d'insérer le jeu dans leurs boîtes de céréales. Mais l'idée de mettre les enfants nez à nez avec la famine dès le petit déjeuner est loin de faire l'unanimité.

Programme alimentaire mondial : http://www.wfp.org

Célia Mériguet : Le Monde du 27 mai 2004
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