10.6.04

Les dopés passent le bac

Cette année, plus de 600.000 élèves passent les épreuves du bac. Si le diplôme ne vaut plus grand-chose sur le marché du travail, il demeure pour tous ces adolescents le sésame qui leur ouvrira les portes de l'enseignement supérieur, de plusieurs concours administratifs, voire de certaines formations militaires. En somme, ce «bout de papier», tant décrié parce que dévalorisé au fil des ans, a néanmoins acquis un caractère obligatoire, une sorte de visa pour franchir la frontière de la vie active.

Chez les jeunes, et encore davantage chez leurs parents, l'angoisse de l'échec est telle qu'ils sont prêts à user de tous les moyens pour réussir. On a brocardé ces pères qui martyrisent leurs enfants pour en faire des champions de tennis ou des footballeurs professionnels. Que dire de ceux qui bourrent leur progéniture de compléments alimentaires, de vitamines, d'anxiolytiques et autres stimulants des méninges ? Plus d'une fille sur trois et plus d'un garçon sur cinq se sont adonnés au «dopage mental». Et, de l'aveu même des pharmaciens qui distribuent ces produits, ce sont les mères qui viennent les acheter pour leurs bacheliers en puissance. Rares sont les apothicaires qui voient des élèves de terminale franchir leur porte pour demander la molécule miracle qui décuple la mémoire.

En même temps, les cours particuliers sont en pleine expansion. Les officines de soutien scolaire connaissent un véritable boom qui arrondit les fins de mois des professeurs et alourdit les emplois du temps déjà surchargés des lycéens français. Même les bons élèves y ont recours. Car ils ont beau exceller dans leurs terminales, certains parents veulent déjà les mettre en condition pour les classes préparatoires aux grandes écoles qu'ils fréquenteront après le bac !

Dernière nouveauté dans cette course haletante aux podiums académiques : le «coaching». Cette fois, la technique est empruntée au monde de l'entreprise. On ne cherche ni à améliorer la physiologie du candidat au bac ni à parfaire ses connaissances ; on exerce sa solidité mentale comme un entraîneur parle à son boxeur pour renforcer sa confiance en lui. Moyennant des sommes rondelettes, les organismes qui proposent ces services s'engagent à adapter l'élève aux «exigences formelles de l'école» ou à revoir ses méthodes de travail afin d'apprendre ses leçons «vite et bien». Des enseignements qui, jusqu'ici, revenaient aux professeurs et aux parents et qu'il faut maintenant sous-traiter à des prestataires extérieurs...

Ces «compléments d'éducation», souvent ruineux et qui causent un surcroît de fatigue aux adolescents, permettent-ils d'éviter l'échec ? Probablement pas. Mais ceux qui y ont recours tentent de se rassurer face à l'abîme. Car, entre les élèves qui réussissent le bac du premier coup et ceux qui l'obtiennent après un redoublement, 90% d'une classe d'âge sort de l'enseignement secondaire avec le diplôme en poche. Le précipice social attend les 10% restants. Chacun le sait, chacun le ressent, chacun le craint : à 18 ans, on ne peut vivre au bord du vide.

Jean-Marc Gonin : Le Figaro du 10 juin 2004
Sentinelle : Juniors : Lycéens