5.6.04

"Maman"

une «hypercorrection petite-bourgeoise»

Pierre Encrevé, linguiste, analyse, à l'occasion de la fête des Mères, la généralisation du mot «maman» au détriment du mot «mère».

Pourquoi tant de «maman» dans la bouche d'adultes ? «Comment va votre maman ?», «elle est à la retraite, votre maman ?»

Adressées à des personnes sorties de l'enfance depuis belle lurette, ces questions ont un air incongru. Propulsant l'interrogé des années en arrière, à un stade infantile. Et pourtant, de plus en plus souvent entre «grandes personnes» le mot «maman» remplace le mot «mère». Vous voilà alors, vous qui êtes questionné et votre mère avec, enrobés de guimauve, dans un flot d'affection.

La langue des médias en use et abuse. Dans Ça se discute ou C'est mon choix par exemple, les «maman» (et les «papa») sont la règle. Manière d'abolir les distances en toute proximité ? Ou signe de régression coïncidant avec l'apparition des doudous pour adultes ?

Certains verront dans ce déplacement sémantique une perméabilité de la sphère intime. Comme la marque d'une société où privé et public tendent à se mêler. La fête des Mères n'y échappe pas, parfois transformée en «fête des mamans». Pour le linguiste Pierre Encrevé, directeur d'études à l'EHESS (Ecole des hautes études en sciences sociales), cette tendance n'est pas nouvelle, même si elle s'est beaucoup amplifiée, notamment avec l'allongement de la durée de vie.

Marie-Dominique Arrighi : Libération du 5 juin 2004
Sentinelle : Société : Sociologie & modes de vie