7.6.04

Arabie saoudite

Entre les exigences de Washington, qui réclame des réformes radicales, et la guérilla islamiste, qui veut en finir avec des princes corrompus, renégats et complices de l’Occident, la monarchie wahhabite, qui contrôle un quart du pétrole mondial, survivra-t-elle ?

Le réseau saoudien d’Al-Qaida

Pour la quatrième fois en treize mois, des résidences ou des bureaux accueillant des étrangers ont été la cible d’une attaque terroriste en Arabie Saoudite. Les trois premières attaques, qui avaient fait 58 morts, ont été attribuées à Al-Qaida ou revendiquées par le réseau d’Oussama Ben Laden. La dernière, qui a fait 22 morts dans le port pétrolier de al-Khobar, sur la côte orientale de l’Arabie saoudite, a aussi été revendiquée, dans des messages adressés à plusieurs sites internet et dans un enregistrement audio, par Abdel Aziz al-Mukrin, présenté comme un important dirigeant d’Al-Qaida dans le royaume. Selon les propos rapportés par les otages survivants et le texte du message de revendication, les terroristes entendaient, par leur geste, «repousser les forces croisées et de l’arrogance, libérer la terre des musulmans, appliquer la charia et nettoyer la péninsule arabique des mécréants» : programme qui correspond point pour point aux objectifs d’Al-Qaida en Arabie saoudite et à l’ambition de Ben Laden lui-même depuis qu’il a rompu avec son pays d’origine.

Après avoir financé pendant de longues années des organisations et des réseaux islamistes dans d’autres pays, l’Arabie Saoudite s’est retrouvée à son tour, après la fin de la guerre d’Afghanistan contre l’armée soviétique, confrontée à des courants islamistes salafistes, inspirés par la rigueur de l’islam afghan, qui dénonçaient à la fois l’hypocrisie de ses princes corrompus et la présence des forces américaines sur la terre sacrée de l’islam. Des vétérans d’Afghanistan sont d’ailleurs à l’origine des premières cellules terroristes saoudiennes. Autour de ces anciens sont venus se rassembler, au fil des ans, de jeunes extrémistes musulmans qui reprochent aussi à la monarchie son absence de «conscience sociale», ses liens avec les Etats-Unis, alliés stratégiques d’Israël, et son indifférence devant les souffrances des Palestiniens et, aujourd’hui, des Irakiens.

Selon les spécialistes, qui jugent la situation de l’Arabie Saoudite «très inquiétante», ces cellules liées au réseau d’Al-Qaida, ou influencées par son discours et ses pratiques, seraient fortes de plusieurs milliers de militants prêts au martyre, soutenus par plus de 10.000 sympathisants très actifs. Selon un expert européen, «le pire est que les services de sécurité eux-mêmes, y compris la Garde nationale, sont infiltrés par les extrémistes musulmans, au point que la collaboration avec ce corps pose de réels problèmes».

Est-ce alors à l’incompétence légendaire des forces de sécurité saoudiennes, ou à des «négligences» plus inquiétantes qu’il faut attribuer les étrangetés de l’opération d’Al-Khobar, où trois terroristes sur quatre ont réussi à échapper au dispositif militaire et policier déployé par les services de sécurité saoudiens ?


Carte non réduite

Pétrole : vers un «choc terroriste ?»

«Ils veulent porter atteinte à l’économie du royaume et faire fuir les étrangers.» Malgré les propos lénifiants des responsables saoudiens du pétrole sur la sécurité renforcée des installations pétrolières, le prince héritier, Abdallah ben Abdel Aziz, avoue son inquiétude sur les conséquences de l’attaque menée à Al-Khobar: l’exode probable des experts étrangers, dont la présence est indispensable à la production de pétrole, risque de renforcer la nervosité des marchés pétroliers, avec pour conséquence une nouvelle envolée des prix. Car pour enrayer la hausse du prix du baril et le maintenir sous la barre des 40 dollars, c’est précisément sur un accroissement de la production de l’or noir saoudien, premier producteur mondial, qu’ont misé les pays consommateurs. Vivement encouragé par les Etats-Unis, Riyad s'est engagé à augmenter sa production de 2 millions de barils par jour, lors de la réunion de l’Opep à Beyrouth.

Or l’Arabie, détenant à elle seule un quart des réserves mondiales, est le seul pays capable d’augmenter significativement sa production. Le Koweït et les Emirats arabes unis ne peuvent fournir plus de 150.000 à 220.000 barils supplémentaires par jour. Les nombreux actes de sabotage commis en Irak interrompent souvent les exportations.

Deuxième fournisseur de l’Opep, l’Iran a pratiquement atteint son niveau maximal de production, comme la Libye, l’Algérie, l’Indonésie ou le Qatar. Les grèves générales à répétition ont rendu la production du Venezuela imprévisible, comme celle du Nigeria, en proie aux affrontements ethniques. Quant à la Russie, et à la poignée d’autres pays fournisseurs de pétrole, hors Opep, leur rythme de production ne devrait pas connaître la moindre hausse avant de longs mois, voire quelques années. Après les chocs pétroliers des années 1970, les pays consommateurs se sont dotés de réserves stratégiques et de mécanismes de régulation destinés à atténuer les crises. Ces précautions seront-elles suffisantes ?

L’attaque d’Al-Khobar, comme celle perpétrée le 1er mai à Yanbu, sur la mer Rouge, souligne un paradoxe : l’Arabie Saoudite demeure toujours l’unique moteur d’un équilibre des approvisionnements et des cours du pétrole. Mais elle se trouve désormais à la merci de terroristes qui ne rêvent que de la déstabiliser. Inquiétant !

René Backmann & Henri Guirchoun : Le Nouvel Observateur 2065 du 3 juin 2004 - MàJ : Squewel - Cartograhie : Encyclopedia Yahoo!
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