30.7.04

Du plaisir du cannibalisme

Cher Docteur, Je suis une mante religieuse et j'ai constaté que je prenais davantage de plaisir quand je commençais par croquer la tête de mes amants. En effet, quand je les décapite, ils entrent dans des spasmes prodigieux. Est-ce que vous-même ressentez la même chose ?
 
Certaines de mes meilleures amies sont également des croqueuses d'hommes... Mais pour ma part, autant vous le dire, le cannibalisme n'est pas mon truc. Je n'en conçois pas moins pourquoi cette façon d'agir vous convient. Les mâles de votre espèce sont en effet de piètres amants. Cependant, tout comme on peut voir un poulet écimé se précipiter en tous sens, une mante mâle décapitée entre dans un véritable état de frénésie sexuelle. Est-il si difficile de faire l'amour sauvagement sans perdre la tête ?

Le mâle de la mante religieuse est en danger au moment où il s'approche de la femelle et lorsqu'il la quitte. En revanche, vous ne pouvez pas l'attaquer lorsqu'il se trouve sur votre dos position qu'il adopte lorsque vous l'avez laissé intact.
A peine aura-t-il aperçu une femelle qu'il en sera tout troublé. Et il fera comme tant de générations précédentes, dès que vous détournerez le regard, il se glissera vers vous. Lorsque vous vous tournerez à nouveau vers lui, il se tiendra immobile comme une statue, espérant se faire passer pour une simple feuille, et cela des heures durant si nécessaire. Dans quel but ? S'approcher suffisamment pour pouvoir bondir sur votre dos, après quoi il sera en mesure de vous posséder sans inconvénient. Mais au premier faux mouvement, vous l'enverrez ad patres, sa tête sous le bras.

Chez plus de quatre-vingts autres espèces, on a pu voir les femelles dévorer leurs amants avant, pendant ou après l'acte sexuel. Les araignées comptent parmi les principales coupables, mais on peut y ajouter plusieurs autres sortes de mantes, certains scorpions et quelques moucherons. Les femelles de ceux-ci (petites mouches à l'appétit redoutable) achèvent leurs amants de façon particulièrement affreuse : elles les capturent comme n'importe quelle proie habituelle et leur plongent leur trompe dans la tête tout en coïtant. Leur salive transforme leur cervelle en véritable soupe, qu'elles absorbent entièrement, avant de jeter le squelette céphalique vide aussi négligemment qu'un enfant se défait d'un jouet devenu ennuyeux.

Quant à monsieur Mante, il joue vraiment de malheur. Tant qu'il a toute sa tête, son cerveau adresse des messages à son appareil génital, pour lui recommander la sagesse. Cela bloque sa libido, tant qu'il ne se trouve pas en position de coït. Mais une fois sa tête avalée par la femelle, ces messages d'inhibition cessent d'être émis et le mâle redevient affamé de sexe. Du coup, il est en mesure de copuler alors même qu'il ne reste plus grand-chose de lui. Cela démontre clairement qu'il s'est spectaculairement adapté au cannibalisme femelle.

 
Dr Tatiana  : Le Figaro du 29 juillet 2004