17.8.04

Etes-vous "carbon-neutral" ?

Pollueurs impénitents, voici un moyen de vous racheter ! En étant "carbon-neutral", vous pourrez neutraliser vos émissions de gaz à effet de serre.

De nombreuses entreprises de développement durable proposent en effet à leurs clients de calculer la quantité de CO2 émis lors de leurs transports et autres activités polluantes, puis de contribuer financièrement à des actions destinées à contrebalancer de façon exacte ces émissions.

L'argent versé doit aider à promouvoir l'utilisation d'énergie propre ou à faible consommation d'énergie, mais aussi et surtout à planter des arbres. Aux grands voyageurs, la société britannique Future Forests propose, par exemple, pour un aller-retour Londres-New York, de contribuer à hauteur de 20 £ (30 €) destinés à la plantation de deux arbres. Ceux-ci sont censés absorber la tonne de CO2 émise par personne lors du vol. Pour promouvoir ses services, l'entreprise verte a proposé à ses clients les plus célèbres de donner leur nom à une forêt entière. Il est cependant possible à tout un chacun d'y faire planter un arbre. C'est plus chic donc c'est plus cher… Il vous en coûtera 17,5 £ (26 €) pour un arbre dans la forêt de Joe Strummer, le défunt chanteur leader des Clash, à Orbost, en Ecosse, ou dans celle de l'acteur Brad Pitt, au Bhoutan.

Le principe semble louable. Mais cette société et ses semblables ont reçu de vertes réprimandes de la part de groupes environnementaux britanniques. Les uns reprochent à ces entreprises d'exploiter à des buts lucratifs une cause noble, tandis que les autres les soupçonnent de ne pas investir suffisamment dans l'entretien des forêts. Et toutes s'accordent sur le fait que ces actions, et notamment la plantation d'arbres, soulagent plus les consciences que l'environnement, puisque la priorité doit être accordée à la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

De l'avis même des climatologues, cette solution n'est pas idéale. "Replanter des forêts peut aider à résoudre le problème, mais la compensation n'est jamais totale : plus de la moitié du CO2 reste dans l'atmosphère", explique Jean Jouzel, climatologue et directeur de l'institut Pierre-Simon Laplace. "Si la forêt n'est pas entretenue et si le bois est utilisé pour être brûlé sans replantage d'arbres, elle deviendra émettrice et non plus réceptrice de carbone", poursuit M. Jouzel.
L'entreprise britannique se défend en insistant sur les vertus pédagogiques de son action. "Nous savons bien que nous ne pouvons échapper au réchauffement climatique en plantant des arbres, s'insurge Sue Welland, co-fondatrice de l'entreprise verte. Les arbres constituent un engagement dans la bonne voie, et non une fin en soi."

Future Forests compte mener des actions en France dans un avenir proche. Qu'en pense le Réseau action climat France (RAC-F), regroupant les associations de lutte contre les changements climatiques ? "Ces actions peuvent avoir un effet pédagogique, mais il y a un risque d'induire les gens en erreur en mettant un signe égal entre le déstockage de carbone stocké depuis des siècles et la plantation de forêts", nuance Philippe Quirion, président du RAC-F, pour qui la priorité est d'abord une véritable politique climatique au niveau gouvernemental.
Parmi les clients de Future Forests - 50.000 particuliers et 180 ONG et entreprises - on trouve le géant du pétrole British Petroleum ! Sa contribution financière à la neutralisation de ses émissions ? "C'est confidentiel, j'en ai peur", nous dit Mme Welland.

Stéphane Dreyfus : Le Monde du 13 août 2004