13.8.04

Aventuriers de la ciste perdue

Il faut d'abord se rendre sur un site Internet «Sur la piste des cistes». Sélectionner sur la page d'accueil une des 3.000 petites boîtes en plastique représentées et classées par département. Puis attendre. Quelques secondes à peine. Avant de recevoir l'énigme par e-mail.

Elle peut être codée, littéraire ou historique. Celle-ci déchiffrée, ce qui peut prendre du temps, il faut se rendre sur place. Et chercher la «ciste». Dans la Grèce antique, ce terme désignait un coffret pour les offrandes aux dieux. Une fois celle-ci «décapsulée» il faut prendre un objet à l'intérieur, l'échanger avec un autre que l'on aura préalablement apporté. Et replacer le tout à l'endroit où il était. Mais attention. Il s'agit d'être discret. Personne ne doit remarquer la manoeuvre. Au risque de tout faire rater. Puis on repart comme si de rien n'était. Arrivé chez soi, on signale sur le site la nature de la transaction. Et le tour est joué.

A l'origine, il y a le geocaching américain


Un jeu de piste qui consiste à trouver, grâce à un GPS, un conteneur rempli d'objets. «On a voulu adapter ce jeu en France mais en remplaçant le GPS par des énigmes», explique Philippe d'Euck, créateur des cistes avec Max Valentin, célèbre organisateur de chasses au trésor ludiques (Max Valentin est le créateur de «Sur les traces de la chouette d'or», une chasse aux trésors particulièrement difficile lancée en 1993, qui n'est toujours pas terminée. Ses adeptes sont appelés chouetteurs). En septembre 2002, ils créent leur site. L'accès est gratuit. Et le succès immédiat. Aujourd'hui, il existe même un forum (newforez) et un webzine (monglane). Et plus d'un millier de joueurs inscrits.

Tourisme

"Boudicca", 47 ans, vit dans l'Essonne. C'est son kiné qui lui en a parlé. Il y a un peu plus d'un an. Depuis, elle y consacre tout son temps libre. «Je n'ai pas d'obligation familiale, alors je peux me lâcher», avoue-t-elle. «Quand je rentre chez moi, ça m'aide à décompresser, raconte "Minos 02", commerciale. Heureusement que j'ai mes cistes, sinon j'aurais pété un câble.» Certains organisent même leurs vacances en fonction de ça. Car cister fait voyager. «L'aspect découverte est primordial, explique Bob d'Artois. On cache les cistes en général dans des endroits qu'on aimerait faire découvrir. C'est une forme de tourisme.» D'ailleurs certains sont allés jusqu'à en cacher dans le monde entier. «Le summum de l'originalité pour un jeu français», selon Baykus. "Azertyuiop" est l'un des spécialistes. Il est l'auteur de plusieurs cistes planquées en Birmanie et en Thaïlande. «Mais ce que je souhaite le plus c'est d'en placer une au sommet de l'Everest.» Sous l'impulsion des voyageurs, le jeu commence à s'implanter dans certains pays limitrophes de la France. Notamment en Suisse. Où on rencontre des acharnés comme Luna et Adi, 24 et 26 ans.

Si certains cistent seuls, d'autres préfèrent le faire en famille. C'est le cas des "Titbinous", une mère et ses deux filles. "Globul", lui, essaie de trouver des cistes à la portée d'Adèle, sa fille de 7 ans. Tandis qu'"Acrostiche" aide souvent Flea, son fils de 15 ans, à rédiger ses énigmes. Pourtant, parfois le courant ne passe pas. «Ma copine n'est pas très branchée ciste, confie "Zorg". Elle trouve que j'y passe trop de temps. C'est vrai qu'il lui est arrivé d'attendre une heure seule dans la voiture un soir tandis que j'en cherchais une.» "Yaco", maire d'un petit village breton, n'a pas ce problème. Son épouse est une inconditionnelle. «Alors on organise régulièrement des repas cistiques entre cisteurs.» D'ailleurs il a créé un alcool spécial. La cistelle, «à base de rhum blanc, de jus de fruits et de curaçao». Et «il y en a toujours de prêt à la maison».

«Une bête»

"King" customise ses cistes. Il leur donne une forme originale. Il n'y a pas que le Tupperware dans la vie. "Jmlv" est le plus grand «cacheur» de la bande. Environ 300 cistes dissimulées. Et en matière d'énigme c'est l'un des plus originaux : «J'ai déjà réalisé une fausse une de journal et en ce moment j'ai réalisé tout une série d'énigmes avec des allusions aux albums de Tintin.» Et puis il y a "Lonesloane", militaire à la retraite. «Un tueur», «le plus innovateur», «une bête», «le plus acharné», selon ses collègues admiratifs. "Lonesloane", c'est près de 850 cistes décapsulées. Et parfois même avant qu'elles ne soient enregistrées sur le site. Son secret ? «Je dois avoir un cerveau spécial. Je suis chouetteur à la base. Donc je n'ai aucun mérite.» Pour lui, les cistes sont devenues une drogue. Qu'est-ce qu'il y gagne ? «Rien. Juste le plaisir de faire 50.000 km en deux ans.»


«Va voir les pèlerins...»

Exemple d'énigme avec la ciste zen de "Boudicca". Ce n'est pas la peine de la chercher, elle a disparu.

La ciste zen. Paris Est.

Va voir les pèlerins des nuages et de l'eau.
Cherche alentour celui qui a un
siècle de plus qu'eux.
Et en son coeur, le trésor !

Explication de "Boudicca" : «Il fallait chercher dans le bois de Vincennes. Là il y a un temple bouddhiste avec des statues de moines autour. Selon une plaque à côté, ces derniers étaient appelés "Pèlerins des nuages et de l'eau". Cent mètres plus loin, il y a un superbe platane de 1871. La ciste était dans l'un des trous de l'arbre.»

Damien Albessard : Libération du 11 août 2004