16.9.04

De la marque pour se démarquer

Les collégiens et leurs parents vivent un enfer. «A l'école, les enfants sont plongés dans une jungle, avec ses lois invraisemblables.» Cela «rend la vie dingue» aux adultes. La faute aux marques et à la surenchère qu'elles induisent. Pis, chaque classe a ses «rejetés», les moutons noirs qui ne s'habillent pas comme les autres moutons.

Pas de triche

Ce sombre tableau est dressé par l'Union des familles en Europe (UFE), une association familialistes et traditionaliste, dissidente de Familles de France. Hier, sa présidente Béatrice Stella présentait une enquête lancée l'an dernier. Pour cette mère de famille de 44 ans, 5 enfants du CP à la terminale, «la pression des marques n'a jamais été aussi forte, c'est une agression qui perturbe la vie de famille et la vie des collèges». Rien à voir avec sa propre jeunesse, «l'époque de Bonne nuit les petits et des T-shirts Fruit of the Loom».

Aujourd'hui ­ à l'heure où les Galeries Lafayette ouvrent 4.000 m² dédiés aux ados ­, les 11-14 ans seraient les plus touchés et les plus fragiles. Les élèves de 5e en particulier : «Ils ont eu un an pour se mettre dans le bain.» Surprise, les garçons ne sont pas en reste. Tout se focaliserait sur les panards. Pour 96% des garçons et 76% des filles, les chaussures se doivent d'être de marque. «Une source de tension d'autant plus vive qu'ils changent de pointures très vite.» Et pas de triche. «Inutile de proposer d'acheter de fausses Converse à 25 euros ! Ils sont imbattables sur l'étoile ou le détail qui prouve que tel vêtement est de marque ou non. On peut féliciter les entreprises de marketing...» Mais l'UFE se garde de pousser plus loin sa critique de la société de consommation. «Ce n'est pas notre mission», prévient sa présidente.

Pourtant, pour les parents, l'épisode «courses» relève du calvaire. «Contrairement au primaire, il est impensable d'acheter un vêtement sans le collégien, commente Béatrice Stella. Et là, difficile de dire non, même les parents les plus stricts cèdent, on n'en peut plus, c'est tellement violent.» Évidemment, l'impact financier est jugé «lourd» pour 9 familles issues des classes moyennes sur 10. D'où la recherche de compromis : «J'accepte de temps en temps pour que mon enfant soit dans le coup, je donne la somme que je mettrais, il complète s'il tient à une certaine marque.» Rares sont ceux qui refusent «pour des raisons éducatives» : seulement 6 % des mères. Les pères, eux, abdiquent.

«Martyre». D'où vient cette folle attirance pour les marques ? Cela s'expliquerait par le désir des enfants de ne pas être «rejetés». L'UFE met l'accent sur ce point. «Certains souffrent le martyre s'ils n'ont pas le logo requis, décrit Béatrice Stella. On comprend dès lors mieux la pression qu'ils exercent sur les parents.» Ce que confirme un enfant cité dans l'enquête : «C'est pour qu'on me laisse tranquille, pour être considéré par les autres.» A un âge où la personnalité n'est pas affirmée, les marques constitueraient «une béquille psychologique», juge Béatrice Stella.

Mais vêtus de la panoplie idoine, les gamins font des envieux. Selon leurs parents, 9% d'entre eux ont même été rackettés.

Dans ce contexte, on ne s'étonnera pas que l'association pose la question de l'uniforme, comme l'avait d'ailleurs fait l'an dernier Xavier Darcos, alors ministre de l'Enseignement scolaire. Une majorité de parents y serait favorable. Les deux tiers des enfants, eux, y voient un épouvantail, mais pourraient se résoudre à une tenue «jeans et pull bleu marine». Quant aux chaussures, «pourquoi pas une paire de baskets montantes, standardisées», suggère Béatrice Stella. Tous en Converse ?

La panoplie de l'ado à la mode

Selon l'enquête de l'Union des familles en Europe, les collégiens sont 19% à préférer Nike pour leurs chaussures (devant Puma, Adidas et Converse).

Pour leurs pantalons, ils plébiscitent Diesel (suivi par Cimarron, Lévis et Gap).

Les pulls sont de préférence Gap ou Zara.

Les casquettes sont Nike, Lacoste ou von Dutch.

Cet «uniforme» a un coût : entre 353 et 578 euros pour les garçons.

Traditionnellement moins chère, la panoplie des filles est évaluée dans une fourchette allant de 255 à 430 euros. Rien que pour une seule tenue, avec laquelle on ne fera pas l'année.

Marie-Dominique Arrighi : Libération du 16 septembre 2004