18.9.04

La Fnac joue la provoc

contre les majors

L'enseigne révèle comment déverrouiller les services de musique en ligne payants, dont le sien.

Comment faire sauter les protections antipiratage que les services de musique en ligne payants imposent à leurs clients ? Les initiés le savent mais c'est la Fnac qui l'a dévoilé : il suffit de graver la chanson achetée sur un CD, puis de transférer le fichier dans l'autre sens sur l'ordinateur.

La promotion de ce bricolage par un acteur officiel est une première en France et une belle provocation. La Fnac promet même de distribuer des disques vierges aux clients de son service FnacMusic, afin de leur faciliter l'opération.

Avant d'en arriver là, le distributeur avait imaginé un autre système pour proposer aux clients de son service de musique en ligne, qui ouvre aujourd'hui, des morceaux librement transférables sur tous types de baladeurs numériques. Une gageure dans ce secteur émergent miné par une guerre des standards, mais aussi une arme qui devait lui permettre de combler son retard face à ses concurrents comme Apple avec son Music Store ou VirginMega.

«Dogmatisme»

Lors de la présentation de FnacMusic, les responsables de l'entreprise ont dû en rabattre sur leurs ambitions : à l'instar de ses concurrents, le service et ses 300.000 titres à 0,99 euro pièce n'est officiellement pas compatible avec tous les baladeurs, et notamment avec le plus trendy d'entre eux, l'iPod d'Apple. La faute aux maisons de disques, selon la Fnac, taxées de «dogmatisme» et qui «handicapent ce marché» à force d'exiger des dispositifs anticopie.

Réclamées par les maisons de disques, les mesures de protection contre la copie visent à limiter le piratage. Inconvénient : une guerre des formats fait rage, notamment sous l'impulsion d'Apple qui refuse d'ouvrir sa technologie à tous et se sert de son magasin en ligne (Music Store) pour doper les ventes de son baladeur iPod. Impossible, par exemple, de transférer une chanson achetée sur le site de VirginMega sur l'iPod. Un micmac qui rappelle les errements des débuts de la cassette vidéo, quand les formats VHS et Betamax se disputaient les faveurs des consommateurs.

Depuis plusieurs mois, la Fnac croyait avoir trouvé la martingale : grâce à une manipulation technique, elle espérait proposer des chansons lisibles sur les baladeurs compatibles avec la technologie de Microsoft qu'elle utilise, mais aussi sur les iPod. Seul préalable : l'accord des maisons de disques, car la manoeuvre implique un niveau de protection contre la copie «normal» et pas «maximal», selon les termes de Christophe Cuvillier, directeur général de la Fnac. Autrement dit : les fichiers vendus par la Fnac auraient été plus susceptibles d'être «craqués» par des bidouilleurs.

«Pragmatisme»

Pour les maisons de disques, c'était hors de question. «Baisser la protection, c'est comme utiliser une capote avec des trous», justifie Hervé Rony, directeur général du Syndicat national des éditeurs phonographiques (Snep). «Le pragmatisme doit l'emporter», plaide Christophe Cuvillier, qui ne voit pas comment la vente peut décoller si les consommateurs n'ont pas «la possibilité d'utiliser leur musique en toute liberté et de la transférer sur le baladeur de leur choix».

C'est pour montrer «l'absurdité» de la position des majors que le distributeur a révélé e moyen de faire sauter les protections. «C'est choquant, la Fnac invite ses clients à faire n'importe quoi et polémique sur un sujet sérieux», proteste Hervé Rony. «Seuls 3% des foyers sont équipés d'un baladeur numérique, observe Jérôme Roger, délégué général de l'Union des producteurs indépendants. L'absence de compatibilité n'est pas encore un frein au décollage du marché.» La Fnac a promis de discuter encore et encore avec Apple. Et «amicalement» avec les maisons de disques.


Florent Latrive : Libération du 17 septembre 2004