28.5.04

Le fondateur de Free en prison

Xavier Niel, qui détient près de 70% du capital d'Iliad, est soupçonné d'avoir investi dans trois peep-shows, un à Paris et deux à Strasbourg, qui auraient servi de couverture à des activités de prostitution, a-t-on expliqué au parquet de Paris.

Le placement en détention de Xavier Niel, patron d'Iliad et de Free, a été ordonné par un juge des libertés, qui a suivi les réquisitions du parquet. Le prévenu sortait de deux jours de garde à vue à la police. Trois autres personnes - un proche de Xavier Niel et deux gérants de peep-shows - ont également été mises en examen et écrouées dans ce dossier. La société Iliad, introduite en Bourse avec succès en janvier dernier, n'est pour l'instant pas directement impliquée à ce stade de l'information judiciaire, ouverte en avril 2003 après neuf mois d'enquête préliminaire.

L'enquête se poursuit en effet sur les chefs "d'abus de biens sociaux" et de "blanchiment d'argent", qui n'ont pas été retenus initialement contre Xavier Niel, contrairement à des informations initiales erronées. Les enquêteurs cherchent à déterminer l'origine de l'argent investi dans les peep-shows.

De source proche de la société, on assurait vendredi après-midi qu'Iliad "n'est absolument pas concernée par les charges qui pèsent contre Xaviel Niel, ni en ce qui concerne l'abus de biens sociaux ni en ce qui concerne une éventuelle utilisation du réseau Free".



Xavier Niel, qui nie les faits, ne demandera pas sa remise en liberté avant un prochain interrogatoire par le juge d'instruction, Renaud Van Ruymbeke, a dit son avocate, Me Caroline Toby. "M. Niel nie les faits de prostitution. Il était actionnaire du peep-show de Strasbourg mais n'y est pas allé depuis cinq ans et ne s'en occupait pas. Il n'a pas touché un euro provenant de la prostitution", a dit à Reuters Me Toby. Elle a précisé que le chef de "recel d'abus de biens sociaux" visait des détournements de fonds présumés opérés par Xavier Niel au préjudice d'une société gérant un autre établissement similaire à Paris. L'implication personnelle de Xavier Niel dans ces établissements constitueraient un "reliquat du passé", selon Me Toby.

Xavier Niel, âgé de 36 ans, est une personnalité emblématique de la "nouvelle économie" de l'Internet, dont il a été l'un des pionniers en France. Il a fait ses débuts dans la télématique et le Minitel rose à la fin des années 1980, avant de fonder en 1993 le premier fournisseur d'accès à Internet en France, Worldnet. Créé en 1991, Iliad regroupe Free.fr, second fournisseur d'accès à Internet en France après Wanadoo, l'opérateur de téléphonie fixe One.Tel et Kertel, qui commercialise des cartes téléphoniques prépayées. La société emploie 520 personnes et pesait un milliard d'euros en Bourse avant l'affaire.

Iliad a annoncé elle-même l'incarcération de son dirigeant, estimant qu'il s'agissait d'une "affaire privée" et affirmant qu'aucun autre dirigeant d'Iliad n'était impliqué. "Le conseil d'administration d'Iliad, réuni le 27 mai au soir, s'est assuré que l'organisation de la société, autour de son directeur général, Cyril Poidatz, permettait la poursuite de son développement dans le cadre du plan stratégique en cours", déclare Iliad dans son communiqué.

Chute en Bourse

Vers 16 h 45 vendredi, le titre perdait 10,43 % à 18,55 euros après être tombé à 18,25 euros le matin, dans plus de 590 000 pièces. L'avocat de Xavier Niel n'a pas pu être joint dans l'immédiat. Les investisseurs ont réagi négativement à la mise en examen de cet homme qui fuyait les médias pour protéger sa vie privée. Un analyste financier d'un grand courtier parisien souligne que cette affaire donne "une image négative" à un groupe qui enchaînait les succès depuis quelques années, en particulier dans le secteur très porteur de l'Internet rapide ADSL.

Par ailleurs, les professionnels voudraient être sûrs qu'Iliad n'est pas concernée. "Cela peut être grave pour la société s'il y a des complices dans la société", dit une spécialiste du secteur travaillant pour un autre courtier. Un analyste d'une banque européenne s'attache lui au poids de Xavier Niel dans le groupe qu'il a fondé. Il juge sa présence cruciale, car c'est lui qui élabore la stratégie d'innovation.

Il rappelle qu'Iliad avait insisté sur ce point dans le document de base publié lors de l'introduction en Bourse en janvier dernier. Page 59 du document, il est écrit que "le succès du groupe dépend notamment de la pérennité de ses relations avec Xavier Niel, président du conseil d'administration d'Iliad et actionnaire majoritaire du groupe, et avec les autres dirigeants et collaborateurs-clés". Il est stipulé que "la perte d'un ou plusieurs collaborateurs-clés ou d'un dirigeant ou l'incapacité du groupe à attirer des collaborateurs qualifiés complémentaires pourrait avoir un effet négatif important sur le chiffre d'affaires du groupe, ses résultats et sa situation financière".

Une mise à l'écart de Xavier Niel pourrait avoir des effets importants. Selon une analyste, "cette affaire crée un effet spéculatif, car on s'interroge désormais sur une cession". Xavier Niel avait indiqué au moment de la mise en Bourse qu'il n'avait pas l'intention de vendre son groupe malgré les offres de plusieurs acteurs. Certains experts pensent que, si sa présence au sein du groupe devenait préjudiciable, il pourrait être conduit à vendre sa participation.

Le secteur des télécommunications bruit depuis quelques mois de rumeurs de rapprochement, en particulier dans le segment de l'Internet, où le nombre d'acteurs est jugé trop élevé.

Selon les analystes, un rapprochement entre Cegetel et Iliad serait complémentaire, permettant au premier de récupérer un portefeuille de clients et de combler son retard dans l'ADSL. Reste la question du prix puisqu'il faudrait débourser plus d'un milliard d'euros.

Le Monde & Reuters 18:16
Sentinelle : Informatique : Internet : FAI