31.8.04

Trahis par leur odeur

Après les empreintes digitales et l'ADN, une nouvelle technique est désormais mise à la disposition de la police nationale : l'odorologie. Grâce à son flair, un chien sait si un suspect était présent ou non sur les lieux d'un crime. Un procédé qui doit faire ses preuves.

Vidra plonge sa truffe dans le bocal que lui tend le brigadier-chef Daniel Grignon. Pendant quelques secondes, le berger allemand flaire le bout de tissu qui y a été placé. L'animal fonce vers cinq bocaux, disposés en ligne. Immédiatement, il sait que l'odeur qu'il cherche ne se trouve pas dans le premier. Il passe au second, puis au troisième. Au quatrième, il se fige et, sans hésitation, se couche. Il vient de reconnaître une des odeurs qu'il a senties dans le bocal que lui a présenté son maître. En récompense, il reçoit une caresse et un bout de saucisse. Vidra a sans doute fait avancer une enquête de police.

Même sur la moquette

Depuis trois ans, les locaux de la Police technique et scientifique, à Écully, dans la banlieue lyonnaise, abritent une unité d'odorologie. Tous les jours deux experts cynophiles, Daniel Grignon et Olivier Bregeras, sortent quatre bergers allemands de leur chenil pour le même rituel : l'identification des odeurs, qui permet de savoir si quelqu'un était présent sur les lieux d'un crime à partir d'une empreinte olfactive, spécifique à chaque individu. Pour Bernard Sallez, chef du service central d'identité judiciaire, « un chien reconnaîtra toujours cette odeur, même si le suspect s'est aspergé d'eau de Cologne. »

Il y a un an, cette technique, utilisée depuis trente ans dans les pays de l'Est, a permis d'identifier l'auteur d'un vol à main armée parmi six suspects. Sur le lieu ou sur l'objet d'un crime (une voiture, un revolver ou même une canette de bière), un technicien dispose des bandes d'un tissu spécial. Pendant plusieurs minutes, celui-ci s'imprègne d'une multitude de particules olfactives émises par l'être humain lorsqu'il se trouvait là. Pas besoin d'un contact direct, il suffit qu'il ait marché sur la moquette pour y avoir laissé sa trace.

Une fois les odeurs recueillies, le tissu est placé dans un bocal et envoyé à Écully. Depuis 2001, c'est plus de 1.000 bocaux qui s'y entassent sur des étagères. Une seule affaire peut prendre deux heures comme plusieurs semaines, selon le nombre de prélèvements. Heureusement, les bocaux peuvent être conservés cinq à dix ans en attendant d'être comparés à l'odeur du suspect d'un crime.

Mieux qu'une machine

Lorsque celui-ci est arrêté, il tient pendant une quinzaine de minutes une bande de tissu identique, qui s'imprègne de son empreinte olfactive, qui ne ressemble à aucune autre. Gare à lui, si le chien montre qu'elle correspond à l'une de celles recueillies sur les lieux du vol ou du meurtre. En tout, le berger allemand doit renouveler l'opération trois fois, après que les bocaux ont été intervertis. Il faut ensuite qu'un deuxième chien effectue trois « marquages » positifs supplémentaires, pour que les spécialistes considèrent que le suspect se trouvait sur les lieux du crime. « Mais sa présence ne signifie pas pour autant qu'il est le coupable » souligne Daniel Grignon.

Cet Angevin de 54 ans ne peut pas expliquer scientifiquement comment un chien peut reconnaître une odeur parmi des centaines d'autres. Sa foi dans l'odorologie repose sur l'expérience même s'il « aucune machine n'est capable de faire le même travail qu'un chien. Si on les dépliait, les cellules olfactives du chien mesureraient 200 cm2, contre 3 cm2 pour un être humain. » Il ne faut pas croire pour autant que la tâche est aisée pour l'animal. « Ils sont vraiment fatigués après une journée, insiste Olivier Bregeras, l'autre maître-chien. C'est beaucoup plus difficile que pour la recherche de drogue ou d'explosif, pour lesquels l'animal n'a qu'à mémoriser à vie l'odeur de quatre ou cinq molécules. Chez nous, il doit mémoriser des centaines d'odeurs chaque quart d'heure. » La difficulté est de garder le chien dans des conditions optimales pour qu'il ne soit pas déconcentré. Ainsi, l'unité d'Écully n'abrite aucune femelle. « Sinon, il faudrait une salle différente pour ne pas troubler les mâles », lance Daniel Grignon qui les entraîne tous les jours.

Assis à son bureau sur lequel trône un plâtre de Tintin et de son fidèle Milou, le policier se souvient d'inspecteurs qui étaient persuadés de la culpabilité d'un suspect. « On leur a assuré qu'il ne se trouvait pas sur les lieux du crime. Ils ne nous ont pas crus mais, plus tard, ils sont revenus pour nous dire que nous avions raison. Il sourit : Moi je n'ai pas assez de nez, alors heureusement que les chiens en ont pour moi. »

Julien Hamelin : Ouest France du 30 août 2004