«La Sécu assure d’abord...
... l’industrie pharmaceutique»
[La série de la semaine sur le brûlant sujet de la réforme de l'assurance-maladie : 5/5]
A priori, il sait de quoi il parle. Pendant dix-sept ans, Philippe Pignarre a été cadre
dans l’industrie pharmaceutique : directeur de la communication pour le laboratoire Delagrange et à Synthélabo (qui a racheté Delagrange), puis directeur des relations publiques à Sanofi (qui a racheté Synthélabo).
Il a quitté le monde du médicament en 2000, et dénonce, depuis, les travers de cet univers. Il dirige désormais Les Empêcheurs de penser en rond, une maison d’édition sur les sciences humaines, filiale du Seuil, et vient de publier Comment sauver (vraiment) la Sécu [éditions La Découverte]. Pour lui, les laboratoires sont largement responsables du déficit de l’assurance-maladie : « Il faut arrêter de culpabiliser les patients en leur demandant, comme l’a suggéré Jean-Pierre Raffarin, de mettre 1 euro de leur poche à chaque consultation. La vraie question n’est pas là. La dépense en médicaments d’un Français est 2,9 fois supérieure à la dépense en médicaments d’un Néerlandais. Et les Néerlandais ne sont pas moins bien soignés. Si on alignait les dépenses, l’assurance-maladie française pourrait économiser 7 milliards d’euros. »
Philippe Pignarre donne à ce gigantesque décalage plusieurs raisons : « Dans les années 1980, le prix des médicaments était beaucoup plus faible que dans les autres pays européens. Les laboratoires se sont alors battus sur la quantité, en mettant une pression considérable sur les médecins. Depuis, les prix se sont alignés sur ceux des autres pays, mais nous continuons à consommer beaucoup. » De plus, selon lui, les médecins résistent moins qu’ailleurs à la pression des laboratoires. « Nous avons un problème de presse médicale. La France possède une seule revue indépendante, Prescrire. Dans les autres journaux, comme Le Quotidien du médecin, les journalistes ne critiquent jamais un médicament, car le journal ne vit que de la publicité des laboratoires. Et puis, les médecins résistent peut-être moins, car l’industrie française [Fournier, Servier…] est issue de la pharmacie, avec laquelle les médecins sont liés. Alors qu’en Allemagne l’industrie pharmaceutique vient de la chimie [Bayer, BASF...]. »
Philippe Pignarre évoque des idées pour diminuer la consommation de médicaments : « Les mutuelles pourraient constituer des équipes de visiteurs médicaux, présentant aux médecins des études différentes de celles des laboratoires. Les médecins seraient ravis. » Il propose aussi que le ministère de la Santé sanctionne les me-too, ces molécules prétendument nouvelles qui sortent dès qu’une autre molécule, fort semblable, perd son brevet. « Le ministère pourrait décider que chaque me-too coûte 30% moins cher que le médicament d’origine. L’industrie pharmaceutique cesserait de fabriquer ces médicaments qui n’apportent rien et coûtent cher en marketing. L’assurance-maladie, qui devait être une assurance pour les patients, est devenue une assurance pour l’industrie pharmaceutique, qui affiche ses 20% de rentabilité. »
Dominique Perrin : Challenges 225 de mai 2004
Sentinelle : Économie : Macro-économie : Protection sociale
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